Les prises de vue de nos bébés décédés
Ces derniers mois, plusieurs initiatives en cours de création ou de développement ont été proposées à Petite Emilie. Des photographes amateurs et bénévoles, concernés par le deuil périnatal, ou tout du moins sensibles à ce sujet, ont souhaité s’organiser de manière à se rendre disponibles pour les parents, dans les maternités, afin de réaliser des clichés de leur enfant mort. Cette proposition part de l’idée que les photographies prises par les équipes de maternités ne sont pas toujours les plus douces, et que cette prise de vue est peut-être la seule représentation de cet enfant disparu qui restera pour ses parents et sa famille. Il est vrai que les sages-femmes ou le personnel du service funéraire, prennent des photos pour le dossier médical de la maman, et s’efforcent de rendre le plus d’humanité possible, bien qu’ils n’aient pour cela, reçu aucune formation.
Malgré tout le bien fondé de ces projets, le plus souvent associatifs (car il existe aussi des propositions de professionnels qui revêtent un caractère commercial), ce qui nous gêne, c’est justement le caractère amateur de cette approche, particulièrement en ce qui concerne l’approche du deuil périnatal. Se situer lors d’une prise de vue dans une sorte de relation d’aide, si particulière dans le chemin de deuil, nécessite selon nous une formation. L’intervenant doit être à même de donner de son temps, de ses compétences et de son empathie auprès des familles qu’il souhaite soutenir. Mais il doit surtout veiller à se protéger en trouvant la bonne distance, et se préparer pour définir quelle posture adopter auprès de couples qui se trouvent le plus souvent à ce moment-là, à la maternité, dans un tourbillon émotionnel qu’il n’est pas simple d’approcher.
Les projets qui nous ont été soumis, dans un objectif de communication auprès de nos adhérents, manquaient le plus souvent de cette réflexion préalable, de cette formation qui devrait être guidée par des professionnels, pour laisser le moins de place possible à toute improvisation hasardeuse. C’est pourquoi nous avons pris position de manière à ne pas les relayer ces actions.
Des échanges de points de vue ont eu lieu au sein de l’association, et notamment sur le devenir et l’usage de ces photographies. Ainsi, nous vous proposons quelques partages d’expériences, ainsi que l’analyse de Chantal, psychologue, sur ce sujet.
Mon regard sur les photographies de mes enfants
Je me rends compte qu’en huit ans le regard que je porte sur les photographies de mes enfants a beaucoup évolué.
A leur naissance, la sage-femme, nous a proposé de les prendre en photo. Bien souvent, cette démarche est initiée par le fait que l’un des deux parents (ou les deux) décide(nt) de ne pas voir leur bébé à la naissance. Cette photographie permet de combler ce manque si plus tard les parents changent d’avis.
Je suis donc rentrée chez moi avec cette seule et unique prise de vue de mes enfants. Les premiers mois, je ne pouvais me passer de la regarder encore et encore. Peur d’oublier le moindre détail. Il fallait que je vérifie qu’elle soit toujours à la bonne place.
Cependant, très vite, j’ai trouvé que cette photographie ne me renvoyait ni totalement l’image ni la douceur ni l’intensité des sentiments que j’avais ressentis quand j’avais rencontré mes enfants juste après mon accouchement. J’ai cherché des solutions. La première d’entre elles a été de faire appel à un artiste qui aurait pu redessiner mes enfants à partir de la photographie. Après des recherches, je suis tombée sur des productions de certains de ces dessinateurs. J’ai été alors très mal à l’aise devant ces dessins. En effet, ce sont de beaux dessins, aux traits fins et délicats qui mettent bien en valeur les enfants.
Néanmoins, j’ai ressenti une certaine confusion car j’avais alors l’impression de voir des enfants qui dorment plutôt paisiblement d’ailleurs. Mon intention n’était pas là. Mes enfants sont morts. Leur photographie ne me correspond pas mais je ne veux en aucun cas modifier cette réalité.
N’étant pas convaincue par cette première idée, je me suis questionnée sur l’importance que revêtait alors pour moi cette photographie. Une photographie uniquement pour moi ? Pourrai-je montrer cette photographie ? Garder cette photographie ?
Certaines de ces questions ont trouvé des réponses assez rapidement. Je ne désire ni la montrer à qui que cela soit ni l’exposer. Si je veux parler de mes enfants, de ce qu’ils m’ont apporté, je préfère décrire, évoquer des souvenirs, parler d’objets symboliques les représentant comme je le fais quand je parle de mes grands-parents et non en montrant leur photographie. D’ailleurs, je ne montre pas de photographies de mes grands-parents décédés. J’ai des photographies de mes grands-parents vivants que je peux partager. Je n’en ai pas de mes enfants car mes enfants n’ont eu aucune vie extra utérine.
Très vite j’ai compris que je serai la seule à poser les yeux sur cette photographie mais en ai-je réellement besoin ? Avec les années, je me suis rendue compte que j’étais capable de fermer les yeux devant la photographie pour ne me remémorer que ces émotions que j’avais ressenties ce 23 août au-delà même des éventuels détails que je pourrais oublier. Ces sentiments ne me quittent pas. Ce sont les mêmes avec ou sans photographies, il me suffit de penser à eux. C’est pour moi ce qui exprime au mieux l’essence même et la force de ma relation avec mes enfants.
Alors avec le temps, je me suis détachée de cette photographie, au point de me demander ce que j’allais en faire, dans un futur proche ou plus lointain ?
Pour l’instant, elle reste là où elle est, là où elle a toujours été d’ailleurs, en l’état, comme elle m’a été remise en 2008. Ceci semble me convenir faute d’être capable de faire autrement ou de faire mieux pour l’instant.
Mais qu’adviendra-t-il de cette photographie dans un futur plus lointain ? Ai-je envie de donner cette photographie ? Ai-je envie qu’une personne reçoive cette photographie ? Si oui dans quelle(s) condition(s) ?
Ces questions ne sont pas encore tranchées définitivement. Mais, je dirais qu’aujourd’hui je penche vers l’idée de ne confier cette photographie à personne. Je n’aurai pas d’autres enfants. Quelle(s) signification(s) aurait cette photographie pour ma sœur, mes neveux et nièces, très jeunes à la naissance de mes enfants voire même pas nés pour certains. J’aurais le sentiment de leur laisser un fardeau. Je voudrais leur laisser une autre image du passage de mes enfants dans ma vie, dans notre vie. Il y a d’autres souvenirs que je partagerai avec eux quand ils seront plus grands, des souvenirs que je trouve plus doux et plus représentatifs de ma relation avec eux que ne le montre cette photographie. Cette photographie restera sûrement à jamais avec moi.
Valérie
« Une image parmi d’autres souvenirs »
Lors de notre première IMG, nous avons eu la chance de croiser la route de Petite Emilie sur internet, ce qui nous a permis de nous préparer au mieux à cette naissance pas comme les autres. Ainsi, parmi tous les matériels qu’il est conseillé d’apporter en salle de naissance, nous n’avons pas négligé de glisser dans notre sac un appareil photo. Nous étions déterminés à rencontrer notre bébé, en ayant plus ou moins conscience du caractère furtif de ce moment. La sage-femme qui nous a accompagnés nous a laissé du temps avec notre bébé dans les bras, tant pour le papa que pour la maman, en toute intimité. Ce moment a été propice pour quelques prises de vues.
Notre famille, présente ce jour-là à la maternité, a également eu la possibilité de rencontrer ce bébé, arrivé en des circonstances si particulières. Là aussi quelques photos ont été prises. Pour celles-ci, je n’ai aucune idée de ce qu’elles sont devenues. Pour celles que nous avons réalisées par nous-mêmes, nous avons rapidement fait le nécessaire pour conserver chacun un tirage de la plus représentative de ces photos dans notre portefeuille. J’ai le souvenir que certains proches, connaissant l’existence de cette image, m’ont demandé à la voir. Après avoir passé quelques réserves, et m’être assurée qu’il ne restait aucune ambiguïté, j’ai montré cette photo. J’ai en mémoire la réaction d’alors : « elle est belle, cette petite fille ». Cette petite phrase peut paraitre anodine, mais elle démontre la reconnaissance de cet enfant en tant que personne, dont la vie a certes été interrompue. Là, je sais que je suis reconnue en tant que maman ayant perdu un bébé, et non pas comme quelqu’un ayant réglé un problème.
Cette photo est toujours là, au fond de nos portefeuilles. Je ne la regarde que rarement, mais je sais qu’elle est là et c’est ce qui est important. Mais je considère que cette photo n’a pas sa place partout, ni même en toute circonstance. Elle présente tout de même l’image réelle d’un enfant mort.
Quelques mois après la naissance de ce bébé, nous avons choisi de solliciter les services d’un dessinateur, sensible à la cause du deuil périnatal. Il nous a proposé de travailler à partir d’une photo et d’éléments créés. Le dessin original est encadré, toujours à la même place au cœur de notre foyer. Plusieurs miniatures de cette création ont été faites. Chacun de nos parents en a encadré une quelque part dans sa maison. L’une d’elles est même installée sur une petite étoile cartonnée qui fait son apparition chaque année en décembre sur le sapin. Le fait que ces images soient toujours présentes marque la réalité que l’on n’oublie pas. Cette histoire marque discrètement notre quotidien, par la présence de ces représentations placées dans des endroits choisis. Elles sont accessibles et visibles par tous ceux qui entrent dans notre sphère de proximité.
Cette représentation au crayon prend un peu de distance par rapport à la photographie dont elle a été inspirée. La photo est une représentation très directe et abrupte, éprouvante par son caractère cru. Le dessin permet une image adoucie, certes transformée et adaptée à une forme de souvenir que l’on souhaite conserver.
Ces images, qu’elles soient capturées par l’objectif d’un appareil ou réinterprétées par la main d’un dessinateur, font partie intégrante de tous ces souvenirs créés et rassemblés au cours des quelques jours ou semaines qui ont entouré cette naissance si particulière. Dans les premiers moments de la traversée du deuil, j’ai eu plus souvent besoin de m’y plonger. Le fait de les savoir disponibles, à proximité, présents pour certains, suffit à considérer que ce deuil fait désormais partie intégrante de notre histoire, tant dans ma mémoire que dans notre réalité physique."
Clarisse
Suite aux échanges avec le CA, et à l'article de Valérie sur les photos de nos bébés, , je me suis interrogée.
J'avais eu le temps de me préparer à l'IMG, j'avais intégré l'importance des photos sur le moment, grâce au livret de Petite Emilie et aux divers témoignages que j'avais pu lire sur le forum. J'ai fait des photos, beaucoup de photos, sans savoir ce que j'en ferai après.
Dans l'immédiat, le but était de tout faire et d'avoir le moins à regretter.
Une fois les contacts physiques envolés et la crémation passée, dans les premiers jours, revoir les photos m'a aidée à me dire que ce n'était pas juste un mauvais rêve, qu'elle avait existé, que nous avions existé ensemble. J'ai rassemblé les photos les plus douces dans un album. Quand ma tante ou sa marraine de cœur qui n'avaient pas pu la connaître m'ont fait part de leur souhait de voir les photos, l'album était une façon douce de la leur présenter. Je l'ai ouvert encore quelques fois et puis je l'ai rangé avec le bracelet de naissance, le double du doudou et des seules affaires que j'ai achetées pour elle. Un peu comme j'ai rangé les bracelets de naissance et les premières mèches de cheveux de ses frères. Je n'ai plus besoin des photos, de les regarder, j'ai juste besoin de savoir qu'elles sont là, quelque part. Et puis, la nuit dernière, j'ai passé une très mauvaise nuit .... comme il y a 6 ans. La dernière nuit avec mon bébé. Elle est née il y a 6 ans. Et mon corps et mon cœur se souviennent mieux que les photos, même si c'est diffus. Je suis un peu différente aujourd'hui, et je sais que ça ira mieux demain. Sans doute en raison de nos échanges sur l'importance des photos ces dernières semaines, j'ai eu besoin ce matin d'y revenir, effleurer sa joue, son petit pied. Je n'avais pas ouvert l'album depuis 2 ou 3 ans. J'ai compris qu'avant d'être un moyen de présenter ma fille à ceux qui ne l'ont pas connue et souhaiteraient l'entre apercevoir, ces photos sont là pour moi. Pour savoir que je peux les regarder même si la prochaine fois, ce sera peut-être dans 10 ans. Une boite à souvenirs parmi mes autres souvenirs. Ces souvenirs qui font la personne que je suis aujourd'hui.
Aurore
Ces trois témoignages nous invitent à devoir penser à l’impensable.
Le deuil périnatal est le deuil de la vie interrompue, de la vie qui ne peut avoir lieu. Il ne s’agit pas d’un deuil du passé, mais un deuil de l’avenir, de futurs projets, des rêves des parents.
L’être perdu n’était pas ou peu présent physiquement et il ne peut laisser de souvenirs palpables ce qui vient compliquer l’assimilation de la réalité du décès.
Les parents sont aux prises avec des émotions douloureuses et intenses, des perceptions corporelles pour la maman, des perceptions sensorielles particulières, des images vues lors des échographies. Les 3 témoignages nous montrent bien à quel point les souvenirs de l’existence de cet enfant décédé sont très aidants et réconfortants pour eux dans le processus du deuil.
Les photos permettent aux parents de confirmer l’existence du bébé dans leur vie et de le faire connaître auprès de leur entourage, selon leur choix.
En effet, le travail de deuil périnatal s'effectue dans l'imaginaire, le symbolique, ce qui rend ce deuil si intense, si douloureux. Les preuves de réalité de l’existence du bébé vont permettre de faciliter le chemin du deuil dans le réel.
Même si cela reste particulièrement difficile mais laisser le choix aux parents de voir l’enfant, de prendre une photo peut être l’occasion de fabriquer un lien, une trace de plus dans le temps partagé avec ce bébé.
Selon l’histoire personnelle et familiale de chaque parent, cette photo pourra être montrée ou non, afin de respecter l’histoire du deuil de chacune et chacun soit à l’abri du regard des autres même des proches, soit avec le regard des proches. Cela doit rester avant tout un choix personnel.
Il est évident que les professionnels de la photographie (photographe, graphiste) doivent impérativement être formés pour ne pas parasiter, ne pas perturber les parents dans ce moment particulier chargé d’émotions difficiles, et douloureuses.
Chantal, psychologue
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