L'expérience des femmes et des couples
L’association Petite Emilie a été invitée par le CIANE (Collectif Inter associatif Autour de la Naissance) et le CERMES3 (CEntre de Recherche MEdecine, Sciences, santé, Santé mentale, Société) à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) lors de son colloque organisé sur le thème « quand le handicap interroge la naissance », les 8 et 9 juin 2017. Les chercheurs œuvrant dans diverses disciplines (histoire, sociologie, psychologie, philosophie…) ont notamment présenté leurs travaux et analyses sur le sujet du diagnostic prénatal. Certaines études sont toujours en cours, et vous pouvez y participer selon votre parcours, sur le site du CIANE (https://ciane.net).
La participation de Petite Emilie a été souhaitée, pour présenter le vécu des femmes et des couples, dans leur parcours de deuil périnatal.
Nous vous proposons ci-après le contenu de notre intervention du 8/6/17, qui faisait suite à une courte présentation de l'association PE.
La perte d’un tout petit au cours d’une grossesse ou dans les quelques jours qui suivent l’accouchement est le plus souvent vécu comme un drame. C’est un drame qui marque un parcours de vie. Il s’agit d’une sorte de parenthèse : la traversée d’un deuil.
Cela commence au moment de l’annonce d’un diagnostic qui peut conduire à une IMG, ou l’annonce d’une mort fœtale in utero ou encore d’une fausse-couche tardive. Ce choc laisse place à un précipice qui s’ouvre devant ces futurs parents. Ils sont dans un état de sidération, qui leur permet difficilement d’entrevoir la suite des événements. Comment surmonter ce qui relève de l’inimaginable.
Lorsque les couples apprennent que leur futur enfant est porteur d’un handicap, d’une malformation ou d’une pathologie d’une particulière gravité, ils peuvent faire le choix d’interrompre cette grossesse, ou d’accueillir cet enfant et l’accompagner malgré les difficultés qui s’annoncent, ou encore envisager de le confier à l’adoption…
Il s’agit bel et bien d’un choix, même s’il n’est pas toujours vécu comme tel.
L’accompagnement des équipes au sein des services de DPN est particulièrement important, afin que les couples aient l’ensemble des informations nécessaires en main avant de prendre une décision d’une telle importance. L’organisation d’une rencontre avec un médecin spécialiste de la pathologie diagnostiquée est particulièrement indiquée. Cela permet de mesurer l’impact de la pathologie ou de la malformation sur la qualité de la vie de l’enfant à venir si la grossesse était poursuivie. Ces informations ont au moins autant d’importance que celles qui expliquent le déroulement d’une IMG. Cette étape permet simplement de placer les couples dans un rôle d’acteur de leur choix et de leur parcours, plutôt que subir les indications de l’équipe médicale, les protocoles : prise de médicaments, analgésie, fœticide (ou non), accouchement par voie basse dans la majeure partie des cas. La rencontre avec le bébé décédé reste le plus souvent un joli souvenir dans la mémoire des parents qui ont été en mesure de le voir, le prendre dans les bras, faire quelques photos à conserver pour plus tard.
Après un court séjour à l’hôpital (de 24 à 48h), c’est le temps du retour à la maison.
Une hospitalisation courte, c’est rester moins longtemps dans une maternité où l’on a accouché sans pour autant partager les premiers moments de découverte avec son bébé, apprendre à dispenser les premiers soins. C’est aussi un retour difficile à la maison, le ventre vide, autant que les bras. C’est le moment d’affronter les regards des personnes qui vous croisent au quotidien (voisins, commerçants…) et qui perçoivent que quelque chose a changé, sans forcément comprendre. C’est donc parfois le moment de dire l’indicible : le bébé est mort. Ce retour à la « vie normale » est particulièrement difficile, parce qu’il renvoie à l’aspect définitif de l’événement qui s’est déroulé peu avant. Ce bébé-là, ne croisera plus jamais la trajectoire de ses parents. Seuls les souvenirs, parfois fabriqués de toutes pièces, permettront de le retrouver. Contrairement à ce qui se passe au cours d’un deuil classique, ce ne sont pas réellement les moments partagés avec l’être disparu qui constitueront les souvenirs, puisqu’il n’y en a presque pas. Ce sont surtout des petites choses, construites avec attention par les parents eux-mêmes, leur entourage, l’équipe médicale qui les aura accompagnés et qui seront rassemblés dans une boite à souvenirs avec une portée toute particulière (empreintes, bracelet de naissance, dessins, médaille, doudou, photos…).
Ce retour au domicile est un moment privilégié pour penser pleinement à ce bébé déjà parti, à soi, et à ce « nous » qui prend une forme assez différente. Chacun dans le couple vit son parcours de deuil à son rythme. Le vécu avec cet enfant en devenir ne s’appuie pas sur la même expérience : la mère l’a porté en elle, l’a senti bouger, l’a expulsé au cours de l’accouchement, tandis que le père a vécu avec cet enfant avec un peu plus de distance, aux côtés de sa compagne. L’attachement n’est donc pas tout à fait de la même nature. De plus, l’homme et la femme n’expriment pas leurs émotions, leur chagrin de manière similaire. Le rythme du deuil est aussi marqué par un retour plutôt rapide à ses activités professionnelles en ce qui concerne le père (même lorsqu’il peut bénéficier d’un congé paternité en cas de naissance au-delà de 22SA). Cette reprise implique une immersion dans une société quin’a pas cessé de fonctionner durant les événements qui ont marqué cette famille. Pendant ce temps, la mère est le plus souvent en congé maternité (si la naissance est intervenue au-delà de 22SA).
Un congé maternité sans bébé.
C’est une période un peu étrange. Plusieurs semaines au domicile, sans occupation concrète autour d’un nouveau-né comme la plupart des jeunes mères. Plusieurs semaines pour pleurer, accepter la mort de ce bébé qui était pourtant déjà aimé et désiré. Gérer une montée laiteuse sans objet car le bébé n’est pas là, ne pas avoir à se lever la nuit sans pour autant pouvoir dormir, gérer les suites de couches et la rééducation périnéale … autant de rappels à la notion de maternité, tout en étant en décalage avec une réalité sans bébé. Le décalage dans le couple peut naître de cette période. Le père est appelé à un retour à la normalité dans les échanges avec le monde extérieur, et lors de son retour à la maison, il peut se trouver confronté à la tristesse de sa compagne. Cette dernière peut aussi ne pas comprendre ce détachement apparent.
On peut aisément assister à deux parcours de deuil au sein d’un même couple parental, qui ne s’expriment le plus souvent pas de la même manière, et surtout, pas sur le même tempo, bien que l’événement fondateur de ce deuil soit identique.
Les femmes s’expriment assez longuement sur ce qu’elles ont traversé. Elles ressentent souvent le besoin, au même titre que les autres jeunes accouchées, de raconter la manière dont elles ont donné naissance à leur enfant. A la différence près, qu’elles ont plus de difficulté à trouver un auditoire ouvert à ce genre de récit, qui peut être reçu comme morbide ou tout au moins dérangeant, mais qui peut aussi répondre à une curiosité bien difficile à exprimer pour l’entourage.
L’expression des émotions ressenties est tout autant laborieuse. Ces émotions répondent globalement aux différentes étapes du deuil, de manière générale. Les étapes du deuil périnatal sont sensiblement les mêmes que celles d’un deuil plus classique. Les spécificités tiennent au fait qu’il s’agit d’un sujet plutôt tabou dans notre société, et surtout que l’être disparu n’est jamais réellement apparu dans la famille. Il s’agit du deuil d’un devenir souvent fantasmé. Cet enfant, qui aurait fondé ou agrandi une famille, que l’on imaginait déjà faisant ses premiers pas, tapant dans un ballon ou lors d’une première rentrée à l’école. Ces bébés ne sont pas sortis de la maternité. Ils représentent des bébés du dedans, qui n’ont pas pu être présentés à la société, à ceux du dehors. C’est ce qui pourrait autoriser l’entourage, qu’il soit plus ou moins proche, à nier leur existence presque inconsciemment. (Fabienne Sardat, psychologue)
Du côté du père, les émotions s’expriment souvent moins, peuvent paraître absentes et pourtant… il répond finalement à la commande de la société : représenter l’homme fort, celui qui ne pleure pas son enfant disparu, celui qui tient debout, qui tire sa compagne vers le haut en essayant de regarder au loin, vers un autre avenir. Mais intérieurement, il peut en être tout autrement. Il est moins facile de s’exprimer sur ses sentiments lorsqu’on n’y est pas invité, lorsque l’entourage idéalise ce conjoint comme celui qui va permettre à cette jeune mère effondrée de refaire surface rapidement. Mais qui ose s’adresser à celui qui est sensé contenir les émotions du foyer, à faciliter le deuil de sa compagne ? Pourtant n’est-il pas lui aussi sur un chemin de deuil ? Ces chemins de deuil peuvent se traverser en parallèle dans le couple, et rarement se rencontrer, mais aussi s’entrecouper régulièrement, avec des pauses, des accélérations, des creux… Cela peut être le moment pour ces partenaires de vie de veiller l’un sur l’autre et de se soutenir réciproquement dans les moments difficiles, qui n’interviennent pas nécessairement dans les mêmes moments.
Souvent, quelques semaines après le décès de l’enfant, un désir impérieux peut naitre pour ces femmes, ces parents endeuillés : celui d’une nouvelle grossesse. Pour certains couples, il est difficile, voire inutile d’attendre la consultation post IMG organisée à la maternité où s’est déroulé l’accouchement. Il faut vite, très vite, faire germer la graine d’un nouvel enfant. Ne pas rester sur un « échec », réussir à faire éclore la vie, dépasser cet obstacle immense que représente la perte d’un tout-petit, presque dans une idée conjurer le sort. La question reste toujours la même : n’est-ce pas trop tôt ? le chemin de deuil de l’enfant disparu est-il suffisamment avancé ? Les histoires de ces deux enfants, l’un décédé, l’autre en cours de gestation ne vont-elles pas se télescoper ? Autant de questions qui peuvent paraître simples d’un regard extérieur, et à la fois tellement intimes et donc personnelles pour les couples traversés par ce besoin viscéral d’enfanter. On peut retrouver là les mêmes angoisses que pour les couples qui connaissent un parcours de PMA (Procréation Médicalement Assistée), avec chaque mois un suspense insoutenable et les angoisses qui peuvent persister. L’attention est alors focalisée sur ce nouveau projet de procréation.
Lorsque ce projet semble s’ancrer et qu’une nouvelle grossesse débute, une ambivalence persistante va aussi s’installer : un désir très fort d’enfant, que tout se déroule pour le mieux, assorti d’une immense angoisse. Et s’il arrivait de nouveau un malheur ? Et si ce qui est déjà arrivé se reproduisait ? Et si un autre accident de la nature venait frapper ce petit bout de vie à peine accroché ? Eh oui, les mamans endeuillées en rencontrent d’autres, avec des histoires différentes et découvrent ainsi un échantillon des maladies, handicaps et malformations qui peuvent venir ternir le rêve d’un enfant idéal. Ce qui est arrivé aux autres peut donc aussi leur arriver. L’innocence d’une grossesse simple a bel et bien disparu. Dans certaines situations, il peut même arriver que la pathologie qui a conduit une première grossesse à l’IMG soit susceptible de se reproduire, notamment lorsqu’il s’agit de maladies génétiques. C’est alors qu’il faut attendre un certain stade de la grossesse pour réaliser des examens afin de s’assurer que le futur enfant est bien portant, et conserver sa sérénité, si cela est encore possible. On peut constater que les femmes qui enclenchent une grossesse à la suite d’une perte périnatale, bien que très désireuses d’accueillir un enfant vivant, ne soient pas en mesure d’investir celui ci au cours de la grossesse, parfois même dans ses premières semaines de vie. Il y a comme une nécessité de mettre à distance tout risque de pathologie grave avant de construire une relation parentale avec cet enfant qui pourrait être annonciateur d’une nouvelle catastrophe. De plus, tout signe perçu comme un peu particulier, peut être une source d’angoisse particulièrement majorée par l’histoire précédente de la maman. Il est constaté par les équipes de maternité que ces futures mamans durant leur grossesse suivante, fréquentent plus souvent les services d’urgences, sont plus en demande d’échographies complémentaires, pour se rassurer. L’insouciance de la première grossesse a forcément disparu. Cela ne se termine pas toujours par un « heureux événement ». Cette prise de conscience change inévitablement la posture de la parturiente, ce qui peut créer un décalage avec l’entourage, qui lui, n’intègre pas réellement cet état de fait.
Pour le futur père, sa manière d’investir cette nouvelle grossesse sera probablement moins ambivalente que sa compagne. Il ne porte pas physiquement cet enfant ce qui implique que sa relation est fondée sur des éléments plus immatériels. De manière générale, l’investissement des pères auprès de leurs enfants se construit davantage après la naissance, ou tout au moins lorsque la grossesse se montre plus visible. Ainsi, si une nouvelle IMG intervient de manière plus précoce, il peut ne la percevoir qu’au travers des émotions de sa compagne, sans être particulièrement touché à titre personnel.
Les premiers moments lors de l’accueil d’un enfant suivant né vivant, en bonne santé, ne sont pas non plus sans embûche. L’entrée en relation avec cet enfant, parfait sous tous rapports d’un point de vue médical peut s’avérer particulièrement complexe : il ne s’agit pas de l’enfant perdu, mais d’un autre. Un imposteur ? Un bébé qui pleure ? L’enfant disparu ayant été particulièrement idéalisé pour ne pas avoir vécu, ou si peu, que ce bébé, aussi normal soit-il, a l’immense défaut de ne pas être celui que l’on a tant pleuré. Le remord peut aussi s’installer. N’est-ce pas comme une trahison de tenter de reconstruire une forme de bonheur à la place de celui qui nous manque tant ? Et pour ne rien arranger, tout l’entourage, personnel médical, félicite ces jeunes parents pour enfin tenir leur enfant dans les bras. Mais que peuvent-ils vouloir ou espérer de plus ? Ca y est, ils l’ont ce bébé en bonne santé ! De quoi se plaignent-ils ? Que manque-t-il à leur bonheur ? Ils font bien les difficiles ! Eh non, l’arrivée de l’enfant suivant ne guérit pas ses parents.
Les parents peuvent également avoir idéalisé leur rapport à la maternité ou à la paternité : ils auraient été si heureux de se lever pour leur enfant disparu, de le mettre au centre de leur vie et de leurs attentions. La confrontation à la réalité d’un bébé bien portant, les nuits hachées, les pleurs, peut également être une souffrance pour les parents.
Le chemin de deuil peut devoir se poursuivre, même après l’arrivée d’un nouveau bébé. De plus, cet enfant va devoir grandir avec une histoire bien particulière, qui a précédé son arrivée, pour laquelle il n’est absolument pour rien. L’enfant disparu est parfois tellement idéalisé que l’enfant suivant peut décevoir ses parents par son comportement, ses réussites inattendues ou ses échecs. Il sera nécessaire pour ces parents de réfléchir à ce qu’ils raconteront de son histoire à cet enfant, qu’il connaisse les circonstances de son arrivée dans cette famille.
La manière de cheminer dans le deuil aura indéniablement un impact dans la manière d’appréhender l’arrivée d’un nouvel enfant pour le couple. C’est pourquoi il nous semble fondamental, que l’accompagnement des familles traversant une perte périnatale soit réalisé avec une bienveillance toute particulière, et spécifiquement une reconnaissance de l’enfant disparu. Cet accompagnement de qualité permettra aux parents de s’autoriser à exprimer leurs émotions, à traverser la vallée du deuil, une étape après l’autre, et à construire de nouveaux projets quand le moment sera venu.
Un nouveau projet, ce n’est d’ailleurs pas forcément la mise en œuvre d’une nouvelle grossesse. Pour certains couples, cela ne sera pas pensable. Parfois pour des raisons simplement techniques. Pour d’autres, parce qu’il n’est plus envisageable de traverser une grossesse avec autant d’angoisses, de risques, et d’éventuelles souffrances en perspective. La reconstruction se fera à travers d’autres éléments du parcours de vie. Cela peut être un déménagement, voire un changement de lieu de vie géographique (changer de région), un changement d’orientation professionnelle, pour embrasser une nouvelle carrière plus épanouissante. Il peut s’agir également d’une passion nouvelle pour une activité créative, artistique ou non, un peu dans un esprit de fécondité, certes différent de celui de la procréation.
Le deuil, c’est un moment qui peut s’étirer dans le temps, et à la fois surprendre par la succession ou l’entrechoc d’émotions contradictoires.
La mort d’un enfant, on peut vivre avec, se reconstruire, reprendre gout à la vie, rire de nouveau, et même être heureux. Mais cette mort, on ne l’oublie pas. On continue de vivre avec.
Clarisse
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