La grossesse suivante
« La grossesse est le moment d’un état psychique particulier, un état de susceptibilité ou de transparence psychique où des fragments de l’inconscient viennent à la conscience. […] » une « crise mâturative, contient sa propre capacité évolutive et contribue au processus de formation d’une identité nouvelle ».
Monique Bydlowski
C’est ainsi que dans « La dette de la vie » Monique Bydlowski décrit l’état psychique des futures mères, nous pouvons bien imaginer combien une grossesse qui suit un deuil périnatal peut amener à un questionnement encore plus profond sur notre personne et notre capacité à incarner une forme d’identité parentale.
Notre rôle au sein de notre propre famille et dans la société, notre propre représentation de la mort sont questionnés avec la perte d’un tout petit. Dès le désir de grossesse suivante tous ces doutes et sensations refont vite surface. L’impensable nous le connaissons, l'insouciance n'est plus là … la route est encore longue.
Le « bon » déroulement d’une grossesse est profondément lié à notre histoire, à nos rapports familiaux à notre évolution personnelle. Chaque nœud, chaque questionnement laissé inachevé, souvent, réémerge même pendant une grossesse, dite « normale ».
Cela est encore plus vrai quand l’histoire, récente ou pas, est marquée par un deuil périnatal ou tout événement qui nous amène à attendre cette grossesse avec un besoin viscéral, une impatience et en même temps une grande peur âpre et angoissante.
Ce besoin viscéral, beaucoup (de parents concernés, comme l’entourage) ont peur qu’il apparaisse pour substituer un enfant vivant à un enfant décédé. Comme s’il allait le remplacer. Mais n’est-il pas plus inconscient, moins rationnel : le désir de vie est très souvent immense lorsqu’un deuil est en cours. Que celui-ci soit périnatal ou non.
En effet, en plus d’un drame, la mort périnatale est un traumatisme. C’est un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Pour beaucoup, cette éventualité n’existait même pas avant qu’elle se concrétise. Beaucoup ne connaissaient pas les aléas possibles d’une grossesse, le processus d’IMG, les possibles fausses-couches tardives ou mort fœtales in-utero… Et comme tout traumatisme, la vie ne peut plus être la même après son apparition.
Le traumatisme, c’est la prise de conscience de la mortalité de tous les êtres vivants, y compris nous-mêmes, y compris nos enfants. Il entraîne un état de conscience modifié, qu’il faudra réussir à apprivoiser.
Lorsque le traumatisme est encore trop vif, non digéré, il entraine des symptômes importants :
• Angoisse : que le drame se répète, qu’un autre survienne
• Reviviscence : l’impression de revivre l’évènement traumatisant
• Evitement : éviter de penser à cette nouvelle grossesse et ce nouveau bébé
• Dissociation : l’impression de se regarder vivre de l’extérieur, de ne plus ressentir aucune émotion
Dans cette situation de traumatisme, il est alors très dur de vivre une nouvelle grossesse. Il est alors important de s’entourer de professionnels sensibilisés à ces problématiques, bienveillants et empathiques. Pareillement pour ses proches.
Il est également important de se rappeler qu’aucune étude scientifique n’a mis en lien le stress, et/ou le détachement maternel lors de la grossesse, avec un quelconque effet négatif sur l’enfant à venir. Ceci est important à rappeler au vu de la culpabilité que peuvent ressentir les mères lorsqu’elles n’arrivent pas à se projeter et à « profiter » de leur grossesse, et qu’elles sont victimes d’angoisses profondes.
Et une fois que ce bébé est là ? Encore des questions… Quel est le regard de la société, de l’entourage sur nôtre façon d’être parents ? Doit-on nécessairement faire comme si tout se passait pour le mieux, tel qu’attendu par les autres ?
Bien que très attendu, ce nouveau-né peut ne pas combler ses parents, eux même pris dans un tourbillon de sentiments contradictoires, chamboulés par les besoins et le rythme de ce tout-petit. Serai-je une mère « suffisamment bonne » * ? Serai-je enfin un père … un « homme » ? Quel est le regard de l’autre ? Quel regard envers moi-même ? Quelle place pour ce nouvel enfant ? Quelle place pour son frère/sa sœur disparu(e) ?
Certains parents après un deuil se définissent comme surprotecteurs et ils souffrent des observations de l’entourage envers ce besoin de couver leurs enfants.
D’autres s’inquiètent de la difficulté de s’attacher à cet enfant suivant, de la complexité à prendre la juste distance de l’enfant imaginaire et à accepter ce bébé qui n’est pas parfait, à accepter ce bébé qui n’est pas celui qu’ils ont dû quitter.
Peut-on retrouver la même situation chez des papa et maman avec un parcours plus classique ? S’agitil de questionnements liés simplement au fait de devenir parents ?
Le regard de l’autre fait peur, et quand notre histoire est compliquée la sensation est que l’observation sera encore plus aigüe et attentive, parce que nous sommes nous-même plus inquiets et sensibles et la peur de l’échec est toujours là, bien présente.
Accueillir une grossesse, un enfant, c’est tout un travail. Une maturation psychique, qui n’est pas toujours linéaire.
Est-il plus long et fatiguant suite à un deuil périnatal, à une PMA ou à plusieurs fausses couches ?
La grossesse suivante, si elle se termine positivement, peut-elle aider à guérir des blessures ? Probablement oui, mais combien de chemin à parcourir et de travail à accomplir pour bien accueillir cet enfant ?
Les blessures peuvent-elles se réparer sans l’enfant suivant ? Oui mais à quel prix et en combien de temps ? Quel investissement pour trouver d’autres objectifs malgré la société, l’entourage et ses propres désirs ?
Autant d’histoires, autant de vécus, quels points en commun ?
Voici 4 témoignages pour nous aider dans la réflexion.
Faire de son mieux et ne rien regretter
La question de la grossesse d’après s’est vite imposée à nous. Alors même que nous n’avions pas spécialement programmé d’avoir un enfant (notre premier bébé était « un bébé surprise »), en avoir un autre, en bonne santé, était devenu vital, surtout pour moi.
Une véritable obsession, dès les premières semaines qui ont suivi l’IMG. Quand je parle d’obsession je n’exagère pas. Dès mon retour de couche, qui est arrivé très vite, j’ai enchaîné les tests d’ovulation. Je suis tombée enceinte 3 mois après, puis j’ai fait une fausse couche. Et 5 semaines après cette dernière alors que je tentais de ne pas sombrer dans le désespoir face à cette nouvelle épreuve, j’ai de nouveau eu un test de grossesse positif.
Ce test de grossesse fut vraiment un tournant à 180 degrés. Je passais, en un instant, d’un état d’esprit bien sombre, persuadée de ne jamais avoir le droit à une maternité heureuse, à un espoir fulgurant qui m’a complètement emportée. Je m’aperçois que mon sentiment à ce moment-là était particulier. J’ai tout de suite « bien senti » cette grossesse, j’ai tout de suite su que cette grossesse-là serait différente, je ne sais comment l’expliquer et ce, alors même que je venais de vivre 2 évènements bien compliqués coup sur coup.
Cette confiance, étrange vu le contexte, s’est assez rapidement illustrée, à 8 SA précisément, dans le cabinet de mon gynécologue pour l’échographie de datation. Mon compagnon était là. J’étais la seule à sourire ce jour-là avant l’échographie. Mon compagnon était angoissé pour moi, il avait peur d’un nouveau coup dur et que cette fois je sombre pour de bon. Mon gynécologue n’était pas serein lui non plus, et craignait de devoir, encore m’annoncer une mauvaise nouvelle. Et finalement, le petit embryon était parfait comme je le pressentais.
C’est après que ça s’est gâté. Je n’ai pas su ni pu garder cette sérénité bien longtemps. L’échographie du premier trimestre, celle où tout avait basculé pour notre premier enfant m’a valu quelques nuits d’insomnies. Idem pour les suivantes d’ailleurs. A chaque fois, que j’avais « rendez-vous » avec mon « mini en formation », je ne dormais pas les 2 nuits précédentes, j’étais soulagée après la consultation pour 24 heures puis le stress reprenait sa progression petit à petit. J’étais comme persuadée que tout allait s’effondrer à l’étape d’après. Nous avions passé sans encombre l’échographie de datation, l’échographie du premier trimestre, je m’étais mis en tête que, cette fois, tout allait s’écrouler à l’échographie du deuxième trimestre. Elles ne sont pas toujours jolies les histoires qu’on s’invente dans sa tête…
Mon compagnon lui, faisait mine de ne pas s’inquiéter puis m’avouait à demi-mot après les examens, qu’il était quand même bien soulagé. Malgré tout, nous avions la chance d’être régulièrement rassurés avec une échographie chaque mois et cela nous a facilité la vie. Nous avions (enfin surtout moi) décidé de suivre une préparation à l’accouchement par l’haptonomie. Cela nous a aidé aussi beaucoup à créer du lien avec le bébé et surtout à vivre à 2 cette nouvelle grossesse et non plus chacun de notre côté. L’haptonomie, pour nous a été très utile pendant la grossesse, mais pas du tout pendant l’accouchement, je dirais même au contraire.
Concernant mon entourage, famille et amis, je les ai très vite mis dans la confidence, principalement pour les plus proches. Je ne voulais pas me retrouver isolée si par malheur, quelque chose arrivait encore. De la même façon que pour la situation de deuil que nous avions vécu quelques mois auparavant, je les ai trouvés pleins de bonne volonté mais extrêmement maladroits. Par exemple, je ne compte pas le nombre de fois où l’on m’a dit « mais rassures-toi, tout ira bien, il n’y a pas de raison ! ». Heureusement pour moi, j’ai cessé de chercher la bonne raison qu’avait la vie de m’avoir imposé le choix de l’IMG concernant mon premier fils, mais il est clair que ce genre de phrase ne m’a pas aidée du tout à être plus sereine pendant cette grossesse.
Le soutien est venu beaucoup des « mamanges » enceintes ou non, en projet bébé ou non. Les seules personnes qui pouvaient comprendre ce que je pouvais ressentir au fond de moi, cette peur qui tient au corps en permanence. Les seules à ne pas me faire culpabiliser de tout ce stress que j’envoyais au bébé (qui au passage ne semble pas en avoir souffert vu la joie de vivre qu’est lasienne). Néanmoins, dans la deuxième partie de ma grossesse, j’ai eu besoin de retrouver un peu de légèreté. De me confronter de nouveau à la candeur des jeunes mamans en devenir, celle-là même que j’ai perdu moi en mettant au monde un bébé sans vie. Je me suis inscrite sur un (petit) groupe Facebook de mamans qui devaient accoucher au mois d’avril 2017, comme moi. Cela m’a aussi beaucoup aidée à vraiment profiter des moments heureux de cette grossesse, de vivre pleinement les bonnes nouvelles, les moments de préparation de l’arrivée du bébé.
Je dirais qu’au final, j’ai rejoint l’état d’esprit d’une future maman « classique » sans plus d’angoisse ni moins, après la troisième échographie. Après cette échographie-là, j’ai été libérée d’un énorme poids, un énorme fardeau. En sortant de cet examen, j’ai dit à mon conjoint « C’est bon, on nous demandera plus de choisir ». Quoiqu’il puisse se passer ensuite, je n’avais plus à choisir d’arrêter la vie de mon enfant. Egoïstement peut-être, je me suis sentie bien plus sereine pour la fin de ma grossesse.
Une fois en congé maternité, je me suis consacrée à l’arrivée de notre mini nous, un deuxième garçon. J’ai préparé énormément de choses : fabriqué moi-même son mobile, tricoté une couverture, cousu des draps, décoré sa chambre, etc… Je garde un excellent souvenir de cette fin de grossesse que j’ai mené jusqu’au bout, libre de tous mes mouvements. Ma grossesse, médicalement parlant, a été parfaite, c’est différent pour mon accouchement qui a été véritablement catastrophique mais qui heureusement n’a pas mis en danger mon fils.
Aujourd’hui, Eliott a 14 mois, c’est un bébé très joyeux. Je ne regrette rien de cette grossesse (sauf peut-être mon impatience à la toute fin), elle est ce qu’elle devait être et finalement, elle ne pouvait être autrement. Le stress, les peurs étaient inévitables, j’ai fait ce que j’ai pu, de mon mieux avec les épreuves que la vie m’a imposées.
Christelle
Victorieuse (si) je le suis
Très tôt après la naissance de mes enfants, je me souviens avoir ressenti cette envie. Elle devient vite omniprésente voire obsessionnelle. Elle m’apparait même comme la seule chance de reconstruction possible. Une évidence. Un désir viscéral. Avoir un nouvel enfant. Le feu vert médical arrive quelques mois après. Prête à tout pour avoir cet enfant, je ne me fixe aucune limite : seul mon désir parle. Le protocole de PMA se remet en place et avec lui son lot d’émotions. Des émotions que je n’avais jamais ressenties avant et encore moins pendant ma première grossesse, mais dont la violence me ravageait : la trahison de penser à un enfant alors même que leur frère et sœur venaient à peine de décéder, la déception à l’idée que je n’attende pas de jumeaux, la peur de ne pas aimer cet enfant autant que ses ainés, l’angoisse d’une nouvelle grossesse difficile médicalement…. J’exprimerai ce mal être à la psychologue que je consultais. Je n’entendrai pas ses paroles, ce chemin de réflexion sur lequel elle essayait de m’amener. Je persévèrerai : l’échec d’une tentative appelle déjà la suivante. Une course en avant, heureusement stoppée par un médecin, qui osera me dire NON. Ces mots raisonnent encore dans ma tête. Je n’aurais jamais été capable de prendre cette décision seule. C’était pourtant la bonne décision me concernant.
Les aléas de la vie feront que je serai confrontée à des limites, que je refuserai de dépasser. Ce fut un coup d’arrêt ferme à ce projet de grossesse. J’ai dû, alors, travailler sur moi-même, à envisager mon avenir autrement, sans enfant, entre autres.
Face à un nouveau deuil, toujours accompagnée par la même psychologue, je commence à comprendre ce que signifie « vivre un deuil », « traverser un deuil » que ce soit celui d’un enfant, d’un parent, d’un corps en pleine santé... ce qui fait que dans tous les cas, il s’agit d’un deuil, un processus identique.
Cela m’amènera à poser un regard différent sur mon désir de grossesse suivante, qui sera resté au stade de de quelques essais infructueux ou de simple désir. Le fait de refuser d’aller au bout de ce désir n’en fait pas un désir moins fort. Mais mon désir était-il celui d’un enfant suivant ? Ma raison avait bien compris que mes enfants étaient décédés, situation totalement irréversible. Il s’agissait bien d’un autre enfant qui ne remplacerait en rien ses frère et sœur. Mon corps lui n’avait pas encore effacé les signes de cette première grossesse interrompue trop tôt, retomber enceinte très vite était une façon de ne pas les effacer du tout voire même une opportunité de poursuivre dans un état similaire sans ce retour en arrière forcé. Et mon cœur dans tout ça ? N’était-ce pas lui le seul à répondre ? Mon cœur de mère déchiré par cette séparation brutale était prêt à tout pour effacer cette douleur. Ce désir d’enfant n’était en fait que le désir de voir mes enfants vivre à nouveau et de poursuivre dans une vie telle que je l’avais imaginée et non telle que je la vivais.
J’ai mis longtemps à pouvoir mettre ces mots sur mon histoire. Sûrement avais-je besoin de temps pour avoir suffisamment de recul mais aussi avais-je besoin d’assez de force pour regarder cette vérité, qui était la mienne, en face.
Je comprends petit à petit, avec le recul, que j’avais omis des étapes dans la traversée de ce deuil, omis non pas par négligence mais par réaction face à cette douleur incommensurable. La première était celle qui consistait à établir une relation nouvelle avec mes enfants décédés ; passer d’une relation qui nous unissait en tant qu’êtres vivants tous les trois à une relation où j’étais la seule à être vivante. Le premier anniversaire de la naissance de mes enfants a été le signe de mon franchissement de cette étape. J’avais réussi à vivre toutes les premières fois sans mes enfants, les suivantes ne seraient que répétitions. Une délivrance.
La seconde étape était la prise de conscience que j’avais construit « un modèle de vie ». La perte, quelle qu’elle soit, vient bousculer ce modèle. Il me fallait prendre le temps de détricoter cette représentation inconsciente pour en remodeler une nouvelle.
Finalement, 10 ans après la naissance de mes enfants, je sais aujourd’hui que mes deux premiers enfants resteront mes seuls enfants, que l’espoir ne se trouve pas uniquement dans l’enfant suivant et que Victorieuse si je le suis, je ne le suis que de la bataille que j’ai menée contre moi-même.
Valérie
Retour aux joies de la maternité ?
Pour moi, comme pour beaucoup de femmes, après une grossesse s'étant conclue par un deuil périnatal, être à nouveau enceinte a été un but, fixé très tôt après la perte de notre petit garçon. Malgré les avertissements des équipes médicales, malgré les incitations à la patience des proches, l'envie de porter à nouveau la vie a résonné en moi très vite comme une voie de réconciliation avec soi-même.
Dans mes paroles comme dans ma tête, il ne s'agissait absolument pas de remplacer l'enfant perdu mais simplement de revenir à la vie, de lancer un autre projet, de conjurer le sort qui nous frappait en espérant, nous aussi, avoir la chance de tenir dans nos bras un enfant vivant et en bonne santé. Cela paraissait si simple, être enceinte pour avancer, pour revenir à un état de joie.
J'ai mis 10 mois à tomber à nouveau enceinte. Cela m'a paru une éternité, et si par ailleurs, je menais sur moi un vrai travail d'acceptation des événements liés à l'IMG, j'avais l'impression inconsciente qu'être enceinte mettrait en grande partie fin à ce chemin douloureux et long du deuil, et réglerait pas mal de difficultés morales due à la perte de mon premier enfant
Lorsque j'ai finalement appris que j'étais enceinte, tout était réuni pour un beau moment de joie autour de ce test de grossesse positif. C'était le 24 décembre, le matin du réveillon, un joli cadeau de Noël. Mais finalement, je me suis surprise à être balayée par une grande vague d’indifférence, teintée de tristesse. Le souvenir de mon premier test positif, à peine plus d'un an auparavant, m'est revenu en tête comme un boomerang. J'avais ressenti alors une telle joie, si pure, si inconditionnelle… J'allais avoir un bébé, il était déjà là, à s'accrocher à moi ! Et là, face à nouveau à cette situation, je ne pouvais m’empêcher d'être infiniment peinée de ne rien ressentir que de la peine.
Durant les mois qui ont suivi, j'ai été à la fois très malade physiquement (nausée, fatigue, pathologies hivernales à répétition) et très affectée moralement. Je ne ressentais aucune joie à être enceinte, et même cela me replongeait complètement dans ma peine. La comparaison avec l'hiver précédent, qui était plein de l'impatience et de la joie d'attendre un bébé, plein de ce sentiment d'être forte de cet enfant en moi, invulnérable, était violente et culpabilisante. C'était si douloureux de se remémorer cette joie, cette innocence, et de constater qu'elle était perdue à jamais. Et lorsque je n'étais pas replongée dans les souvenirs du passé, j'oubliais totalement que j'étais enceinte. J'étais presque agacée par les contraintes de cette grossesse, avec l'idée inconsciente que tout cela était inutile. Je crois que c'était l'issue incertaine qui générait cet agacement, plus facile à vivre que la peur. Car les malformations de mon fils étaient restées inexpliquées, et le risque de récidive n'était pas écarté. Mais lorsque j'y pensais, je me disais également qu'une fausse couche était possible, tout comme n'importe quelle autre difficulté pouvant survenir durant une grossesse. Alors la plupart du temps, j'oubliais que j'étais enceinte, comme si c'était plus simple de vivre ainsi. Je prenais les nausées, la fatigue et les vomissements comme des signes de maladie plutôt que comme l'expression de mon état.
J'ai été, durant des mois, d'étape en étape, me répétant que le temps ferait son œuvre sans que je n’aie de soucis à me faire. Et ces échéances que je me fixais à moi-même, ces étapes, sont toutes passées, sans m'apporter le soulagement escompté.
Je me suis répété qu'il était urgent d'attendre des nouvelles médicales, la première échographie. Cette échéance est arrivée et nous a apporté de bonnes nouvelles : votre bébé va bien, son cerveau est normal, on se revoit dans un mois. Et je n'ai ressenti aucune joie, seulement l'attente de l'écho suivante. Qui est également venue, sans émotion.
Puis je me suis dit que cela irait mieux lorsque j'allais pouvoir annoncer ma grossesse à tous. Mais suite aux annonces, auprès de la famille, des amis et collègues, je n'ai ressenti aucun soulagement. J'ai même touché du doigt le fossé creusé entre nous. Ceux qui savaient, pour ma première grossesse, n'osaient pas trop me demander comment je me sentais, à quelques exceptions près, quant aux autres, les plus nombreux, je devais écouter en silence leurs avis et remarques sur « ma première grossesse », puisqu’ils ne savaient rien du passé.
Je me suis également dit « quand tu sentiras bouger le bébé, cela ira mieux ». Mais très vite, j'ai identifié ses petits coups, ce qui au départ n'a pas tellement changé mon état d'esprit. Et c'est cela qui m'a décidé à prendre les choses en main. Car sentir cet enfant bouger en moi et ne pas réussir à appréhender sa présence avec amour s'est mis à produire sur moi une grande culpabilité. J'en étais arrivée à me dire que j'étais une horrible personne, indifférente à son propre enfant, alors que, dès les premiers instants de ma première grossesse, tout avait été si fort en joies, en émotions positives...
Pour tenter de prendre contact avec ce bébé qui grandissait en moi, au mieux dans mon indifférence totale, au pire dans les larmes, j'ai décidé, autour du début du 5ème mois, de retourner voir la psychologue du service des grossesses pathologiques. J'ai également acquis des livres sur les relations entre la mère et le fœtus, et décidé de faire du yoga prénatal. J'ai pris sur moi de parler chaque soir, au moment de me coucher, à ce bébé qui me donnait l'impression de m'être étranger. Au début, je me faisais violence, et lorsque je pleurais, je lui expliquais pourquoi, que cela n'avait rien à voir avec lui, que c'était ma peine à moi qui s'exprimait mais qu'il n'en était pas la cause. Ces moments que je forçais au départ n'était pas facile du tout, et souvent douloureux. J'ai compris quelques semaines après avoir commencé que cela était lié au fait que parler à ce nouveau bébé le rendait réel, alors que je gérais ce début de grossesse dans un déni quasi total. Certains proches m'ont offert des petits cadeaux pour le bébé et m'ont aidé ainsi à commencer à faire des projets avec cet enfant.
C'est dans ces démarches actives que j'ai trouvé l'aide dont j'avais besoin. Et surtout, à force de toucher mon ventre, de parler à mon bébé et de le sentir réagir à mes sollicitations, un lien s'est créé. Mon physique, en quelques semaines, est incontestablement devenu celui d'une femme enceinte, alors que jusqu’à présent rien ne se voyait, preuve que mon corps lui aussi exprimait mes blocages. Je me suis surprise à sourire, au ressenti de ces coups si nombreux, et si forts, dès que je me mettais à parler au bébé. J'ai réellement commencé à appréhender les choses différemment. Mon mari, lui aussi, s'est laissé gagner par cette dynamique et s'est mis à me parler souvent de notre enfant, s'est mis à me demander si je l'avais senti aujourd’hui, à demander de ses nouvelles, voir à tenter de lui parler.
Aujourd’hui à l'entrée dans le troisième trimestre, j'ai l'impression persistante que ma grossesse débute à peine. Mon bébé est bien présent et ne me permet pas de l'oublier. Certes, ce ne sont plus ces bouffées de joie pure du passé, et je suis loin de me sentir invulnérable, je crois que cette innocence-là s'en est allée pour toujours, mais ce sont des éclaircies dans mes journées, des rayons de soleil, de petits cadeaux. Je suis très reconnaissante d'accueillir au creux de moi cet enfant qui refuse de se faire discret, et qui me tire vers le retour aux joies de la maternité.
J'espère de tout cœur que d'ici moins de trois mois, nous nous rencontrerons lui et moi, et que tout ira bien, mais je remercie dès maintenant mon bébé de n'avoir pas renoncé à se faire connaître de moi, pour ne pas être oublié.
Anne
Deux IMG et un bébé.
J’ai beaucoup réfléchi à la façon de parler de la « grossesse d’après », mais c’est un exercice qui, dans mon cas, est extrêmement compliqué. Compliqué puisque le message que je vais vous dresser est autant porteur d’espoir qu’anxiogène. Compliqué puisque, dans notre cas, toutes les histoires ne peuvent pas se finir bien.
Comment vit-on la grossesse d’après, quand on a connu le deuil périnatal ? Eh bien de façon très déconstruite, très déstabilisante.
Maman d’un bébé décédé en juin 2014 suite à une IMG, je retombe enceinte très rapidement, en novembre de la même année. L’attente qui précède le test de grossesse positif me parait pourtant interminable. Chaque mois, je guette les signes qui viendraient annoncer l’arrivée d’une nouvelle histoire, d’un nouvel enfant. Je n’en peux plus d’être en deuil, je pense que je suis aussi à la recherche d’une maternité que je n’ai fait que frôler du bout des doigts.
Ma seconde grossesse est compliquée : je suis sujette à de très sérieuses nausées, tellement violentes que je dois rester clouée au lit. Je suis arrêtée tôt, les médecins préfèrent ne pas me brusquer. Et moi, j’oscille en permanence entre la joie d’être enceinte, l’envie de me projeter et de me préparer à l’arrivée de cet enfant, et la prudence la plus élémentaire qui me souffle de ne surtout rien faire avant que le bébé ne soit, cette fois ci, bel et bien là. Surtout, ne plus revivre l’horreur de devoir rendre des vêtements pour nourrisson, bien qu’encore enceinte, avant la fin de validité du ticket de caisse.
Ce qui est compliqué aussi, c’est que les médecins psychologisent tout. J’ai des nausées ? « C’est psychologique ! ». Je fais des malaises ? « C’est psychologique ! ». A chaque consultation, on me demande si « je suis suivi »
Je deviens réellement folle à force de me sentir scrutée par le corps médical, plus prompt à me ranger dans une case (la nana endeuillée qui vit donc mal sa nouvelle grossesse) qu’à tenter de comprendre et de me rassurer. Il est vrai que je suis aussi morte de trouille à l’idée qu’il arrive quelque chose au bébé : mon frigo n’aura jamais été aussi bien nettoyé que pendant ces 9 mois, tellement je me mets à développer une panique à l’idée de manger un aliment contaminé. On ne peut pas vraiment dire que je suis sereine, loin de là.
Je tente l’haptonomie pour m’investir dans ma nouvelle grossesse, je crains la dépression post partum, j’ai peur de ne pas réussir à m’attacher à ce nouveau bébé.
Les échographies se succèdent et rythment cette nouvelle grossesse : une chaque mois, ou presque. On souffle enfin un peu lorsqu’à l’échographie du deuxième trimestre, le bébé va bien. Les malformations qui condamnaient sa grande sœur ne sont pas là. Ouf. On ne peut vraiment dire que j’arrive à me détendre pour autant, mais on a passé un cap décisif, et quelque part, j’ai l’impression d’avoir conjuré le sort.
J’accouche fin aout 2015 d’un splendide bébé de 3,8kg. Je passe les premiers mois à me battre encore avec les médecins culpabilisateurs, qui froncent les sourcils si j’ai le malheur de mentionner ma première fille (sachez-le, amis parents endeuillés : pour certains médecins, tout, je dis bien T.O.U.T devient la conséquence de votre deuil. C’est aussi absurde qu’épuisant, mais c’est ainsi).
Nous menons en parallèle des tests pour tenter de comprendre l’origine des malformations de notre première fille, aussi rares que graves. L’autopsie (que nous recevrons avec deux ans de retard) a en effet montré que la piste génétique devait être envisagée. Les résultats génétiques nous parviennent plusieurs mois plus tard, ils n’ont rien trouvé. Nous sommes rassurés : nous pouvons donc avoir un bébé, encore, et agrandir la famille. Ce n’était qu’un coup de malchance, de pas de bol. Cela ne se reproduira plus.
Je retombe enceinte pour les deux ans de notre deuxième fille, et à nouveau, rebelotte : nausées et malaises, mais, cette fois-ci, j’ai appris à taire nos antécédents. Pas folle la guêpe, j’ai suffisamment morflé lors de la grossesse précédente.
J’ai cependant retrouvé une forme de sérénité pendant cette grossesse : advienne que pourra, après tout, il n’y a aucune raison que les choses se passent mal. J’achète quelques vêtements dès le premier trimestre, je fais moins la regardante sur l’état de mon frigo, je me permets de manger certaines choses auxquelles je n’aurais pas touché lors de ma précédente grossesse. On ne peut pas exactement parler d’insouciance totale, mais je me détends.
Mon obstétricien juge inutile de me faire refaire des échographies de contrôle tous les mois, comme pour ma grossesse précédente. Après tout, j’ai accouché d’un bébé en parfaite santé, il n’y a presque aucune chance que « cela » se reproduise de nouveau. J’insiste, je préfère être rassurée, je me vois donc prescrire une échographie au 4ème mois, à laquelle j’assiste seule (quand je disais, que j’étais plus détendue !).
Quand le médecin passe sur le cerveau du bébé puis, sans un mot enchaine sur le reste, je comprends tout de suite qu’il y’a quelque chose qui cloche. Je demande d’une voix faible : « et le cerveau ? ». « Il y’a une dilatation ventriculaire ».
Je pense qu’il est inutile de décrire les étapes qui suivent. Mais voilà, les échographies suivantes montreront des malformations similaires à la première fois. Nous choisissons donc, à nouveau, une IMG.
Cela fait 6 mois au moment où j’écris ces lignes. De façon assez étrange, maintenant que je sais que les malformations de notre première fille étaient d’origine génétique, j’ai retrouvé une forme d’apaisement : ce n’était pas de notre faute, ce n’était pas de ma faute. Je n’aurais rien pu faire pour éviter ce qui s’est, à deux reprises, produit.
Je ne dis pas que tout va bien, je ne dis pas que j’envisage d’agrandir à nouveau la famille de façon insouciante, mais je pense que j’ai retrouvé une forme de paix.
Comment se passera la grossesse suivante ? Y aura-t-il seulement une nouvelle grossesse un jour ? L’avenir nous le dira… parce que, comment vivre une grossesse en se sachant porteuse d’un gène fatal aux bébés in utero ? J’espère pouvoir revenir raconter un jour une autre histoire joyeuse, j’espère pouvoir redevenir maman, en attendant, je prends chaque jour l’un après l’autre.
Julie
* « La mère suffisamment bonne » D. W. Winnicott
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