Un deuil, des deuils : Des situations différentes pour un ressenti commun ?
DEUIL ET MATERNITE : MATERNITES EN DEUIL
Difficile actuellement d'associer ces deux mots.
Les associer c'est vous raconter des histoires tristes issues d'une pratique d'entretiens menés dans le cadre de la Maternité et du Centre de Fertilité du Groupe Hospitalier Diaconesses Croix -Saint-Simon, soit à l'hôpital soit au cabinet.
À première vue, histoires de rêves déçus, de corps malmenés. La parole posée là, écoutée, les transforme en histoires de maturation et de construction de vie, qui passent des larmes au sourire. Après la grande traversée de la tristesse la vie reprend ses droits. Nous vivons un temps où médecine, hygiène, évolution sociale nous ont fait oublier le lien quasi naturel entre deuil et maternité.
Jetons un regard en arrière : en 1945 juste après la guerre un bébé sur neuf meurt avant 1 an souvent dès après l'accouchement. Si nous remontons encore les siècles nous constatons que les parents avaient la résignation de l'habitude : " j'en ai perdu [...] en nourrice deux ou trois, sinon sans regret, au moins sans fâcherie", bien qu'il n'y ait " guère d'accident qui touche plus au vif les hommes" (Montaigne).
Grâce aux progrès majeurs accomplis nous dissocions maintenant spontanément les mots "deuil" et "maternité".
L'imaginaire collectif actuel magnifie la maternité. Injonction est faite aux femmes d'être enceintes, belles et heureuses. Nous ne voulons pas ou ne pouvons plus envisager de sombres évènements quand nous pensons à donner le jour à un enfant.
Le puissant désir d'enfant, à notre insu, comme nos ancêtres, dans la nécessité de la reproduction de l'espèce, s’empare de notre corps, nous monte à la tête.
Puissance à la mesure de l'effort physique, psychique et social que la mère, soutenue par le père, que les parents devront fournir pour la fécondation (Aide Médicale à la Procréation), la grossesse et l'accouchement (Maternité), l'élevage puis l'éducation du nourrisson jusqu'à l'adulte.
Une femme me parlait de son désir d'enfant lors d'un entretien de soutien au parcours d'Aide Médicale à la Procréation (AMP) : "on tombe dedans comme on tombe amoureux. On tombe amoureuse d'un rêve d'enfant".
Puissance de désir et d'attachement qui donnera aussi sa mesure dans le deuil si l'enfant n'apparaît pas ou s'il disparaît.
Nous allons nous intéresser aux deux premiers points soulignés : comment parler de deuil en AMP ou/et en Maternité ?
Le mot "deuil" nous invite à explorer un vaste territoire.
La phrase de Montaigne place la question du deuil dans une double perspective, historique (l'état d'évolution de la société) et intime. Il parle pour lui- même, certes, mais élargit son sentiment personnel à tous les humains, touchés au plus vif par la perte d'un enfant.
Le deuil, comme l'amour, sont des états psychiques à la frontière du physique et du culturel. Inépuisables sujets d'angoisses et de réflexion, inépuisables moyens aussi de maturation et de prise en main de sa propre vie...une fois les obstacles franchis.
Actuellement notre société pense le deuil comme un processus qui se déroule en différentes étapes bien définies. Certains livres nous les décrivent et nous indiquent où nous en sommes, combien de temps va durer " le dole" comme l'on disait au Moyen-Âge, du latin "douleur" qui a donné "deuil".
L'idée d'un déroulement du deuil nous rassure et rassure notre entourage sur l'état psychique parfois violemment perturbé qui nous arrache à notre monde habituel et nous plonge dans une froide caverne intérieure.
Mettre des mots sur un ressenti de tristesse et de vide catastrophique, de colère voire de rage impuissante, de vie finie, d'envie parfois de disparaître, d'agressivité ou de demande insatiable de soutien, permet de tenir jour après jour, de laisser agir le travail du temps, de la pensée, de l'émotion et au premier chef, du corps.
Notre corps porte la douleur qui s'est emparée de nous, notre corps petit à petit va porter l'histoire de notre deuil et nous aider à en sortir. Plus sûrement, avec plus de douceur, si nous sommes écoutés, si nous essayons de dire à quelqu'un ce que cette douleur fait de nous.
Mettre des mots c'est entrer en relation avec soi-même, avec l'autre. C'est vivre sa condition d'endeuillé, si surprenante et difficile soit-elle quand il s'agit d’un dole de maternité.
A l'aide de quelques exemples puisés dans mon expérience clinique je partagerai avec vous les questions que pose le deuil en AMP et en Maternité.
Y-a-t ‘il un deuil ou des deuils ? Les circonstances où surgit le drame définissent-elles des deuils particuliers ? Tous les deuils sont-ils équivalents ?
Commençons par le plus difficile à percevoir, le plus caché et parfois le plus complexe à faire comprendre à l'entourage : le deuil qui accompagne les difficultés de procréation.
Le grand public qui ne connaît pas la médecine de la reproduction lui associerait plutôt le mot "espoir". Il faut, bien sûr, le garder toujours en tête.
Bizarrement peut-être, vu de l'extérieur, c'est difficile quand on est plongé longtemps, plusieurs années parfois, dans le parcours d'AMP qui fait virer et revirer l'espoir au désespoir et réciproquement.
Je pense à l'entretien de vendredi dernier au cours duquel une jeune femme m'a livré une comptabilité très spéciale.
Rêvant d'avoir un bébé, qui a imaginé 45 échographies en 1 an et demi, jointes à une centaine de consultations médicales ou paramédicales ?
Qui s'est laissée bercer par l'idée de quelques ponctions ovocytaires et transfert d'embryons "frais" ou " congelés" ?
Qui s'est réjouie en comptant, avec une autre jeune femme, que le 15ème embryon replacé fut le bon, celui qui a donné une grossesse et la naissance d'une belle petite fille ? Heureusement dans ce cas, l'espoir fut plus fort... Qu'en est-il de la douleur accompagnant les 14 autres, avant celui-là ?
Le premier deuil, très difficile à accepter, est la perte du rapport sexuel fécondant, intime, secret. Celui qui va permettre à la jeune femme d'annoncer elle-même à son conjoint des symptômes de grossesse, qu'elle est sans doute enceinte. Perte d'une annonciation, perte d'une féminité ?
Le nouveau mode de procréation assistée va enclencher une série de conséquences impensables auparavant : le corps dévoilé est devenu objet d'une comptabilité particulière, liée à la physiologie de la reproduction. Laquelle comptabilité dépossède rapidement la jeune femme et le couple, s'il n'y prend garde, de toute intimité.
Contexte qu'il faut comprendre, accepter et maîtriser sous peine de difficultés intérieures et de révoltes fatigantes.
Le parcours d'AMP, en principe temps d'espoir, assombri par les échecs à surmonter jusqu'à l'obtention de la grossesse, peut devenir de déception en incertitude, le temps d'un parcours de deuils successifs.
Les années d'AMP sont des années d'alternance espoir/déception, efforts/ échecs, rudement vécues par les femmes. Elles se sentent incompétentes et perdent profondément l'estime d'elles-mêmes, allant jusqu'à penser parfois que leur vie pourrait s'arrêter puisque dénuée de sens, sans personne à qui transmettre.
L'absence de grossesse jointe à l'omniprésence de traitements répétés fait dire à une jeune femme : "j'attends un enfant depuis 3 ans". Etrange résonance de l'expression "attendre un enfant". Elle fait surgir une grossesse en creux, une maternité en attente. Le but à portée de main échappe sans cesse.
Expression au combien paradoxale qui signifie aussi la persistance de l'espoir. Cet espoir à la fois ravageur et porteur de la puissance obstinée du désir d'enfant qui pousse à continuer les traitements.
Pour certaines, l'absence d'enfant est vécue comme un drame. L'état de tristesse et de vide qui s'ensuit ressemble à l'état de deuil. Comment faire le deuil d'un rêve d'enfant, après de si longs efforts, et vivre quand même ?
Les deuils successifs, si l'enfant ne vient pas, poussent au renoncement à procréer.
Renoncer, est-ce que cela signifie que le deuil est fait - pour ainsi dire le deuil final - ou qu'il commence réellement ? On peut se poser la question.
Quand nous associons deuil et maternité nous pensons tout de suite à la mère seule, sans le bébé qu'elle a perdu. C'est le domaine le plus connu, sujet éminemment sensible.
Lorsque je reçois en entretien de soutien des jeunes mamans affligées, muettes, sidérées par le choc de la mort de leur enfant (mort périnatale) elles sont dans l'incompréhension et le désespoir. Jamais elles n'ont pu imaginer une telle issue à leur grossesse, une partie d'elle-même a disparu, elles sont comme mutilées et cela ne se voit pas.
L'une d'entre elles a fait tatouer sur son cou le nom de la petite qui s'en est allée... L'autre garde une photo, une peluche, le bracelet de naissance ... Boîte secrète, mi-tombe mi-boîte à bijoux, où brillent les preuves de l'existence de son bébé rendu plus proche d'elle encore par le manque infini que provoque sa disparition.
Manque d'autant plus cruel que, petit à petit son entourage oublie ou ne voit plus sa souffrance. Pour peu qu'un frère ou, pire, une sœur ait un bébé, elle ne sait plus comment faire, accablée de souffrance personnelle et de sentiments violents d'abandon et d'agressivité.
Il faudra beaucoup de patience, d'écoute attentive d'un discours balbutiant, presque sec, pour qu'elle se décide à parler petit à petit du drame d'une maternité coupée en plein élan, comme jetée dans le vide. Elle veut rejoindre son enfant, sa vie a perdu tout autre intérêt que celui d'essayer de le garder encore. Elle refait inlassablement le film du drame et bute toujours aux mêmes endroits.
Et son conjoint, le papa du bébé ? Comme en AMP, il est son protecteur naturel et son soutien. Encore faut-il qu'il puisse jouer ce rôle si essentiel et parfois difficile à mettre en œuvre. Nous ne développerons pas ce propos ici. Mentionnons simplement la chape de solitude et de silence qui s'abat sur l'homme pendant ces minutes où toute l'équipe médicale est autour de la mère et de l'enfant. Les idées les plus terribles lui traversent l'esprit...pour être chassées par la réalité. Mais il en reste des traces qui, parfois, ne favorisent pas la parole au sein du couple, chacun restant pour un temps muré dans sa souffrance particulière.
Comment le corps prend-t-il en charge le deuil ?
La jeunesse de la maman, la reprise de sa vie professionnelle, l'oubli si révoltant pour elle de l'entourage, le temps qui émousse émotions et douleurs, tout concourt à l'inviter à revivre. C'est un lent travail inconscient.
Son corps lui réclame toujours un enfant. Rappelez-vous la puissance indomptable du désir d'enfant. Le travail de deuil va consister dans le fait de donner à l'enfant qui n'a pas pu vivre la place qui lui revient, dans son histoire à elle, la maman. Ne pas l'oublier, le nommer, y penser... permet, une fois la douleur apaisée, d'ouvrir un autre espace pour le désir d'un second enfant. Celui qui viendra après, celui qui apparaîtra aux yeux des autres comme son premier alors qu'elle et son conjoint savent que c'est le second. Celui qui, subtilement, rappellera la brève existence du premier lorsqu'une question indiscrète viendra lui demander : "combien avez-vous d'enfants ?" et que, l'espace d'une seconde, elle ne saura pas répondre.
Mettre au monde l'enfant suivant, est-ce-que cela signifie que le deuil de l'enfant mort est fait- pour ainsi dire le deuil final - ou qu'il se poursuit autrement ?
On peut là encore se poser des questions.
Pourquoi avoir ainsi pris le temps d'éclairer à l'aide d'exemples concrets vécus en AMP et en Maternité, les circonstances où l'on peut employer le mot "deuil" ? Il fallait une base pour réfléchir à notre question initiale : dans le grand domaine de la maternité, y-a-t-il des deuils de nature différente les uns des autres suivant les circonstances ou sont-ils équivalents ?
Il nous reste à examiner ce qui se passe lorsque le deuil périnatal vient frapper un couple, une maman, après un long parcours d'AMP, réussi, ayant franchi soit des difficultés conceptionnelles soit des fausses couches à répétition.
Il y a là, je crois, une particularité.
Toute grossesse obtenue après fécondation assistée médicalement est une grossesse normale. Elle est donc sujette à tous les évènements qui peuvent affecter la grossesse.
Vous savez maintenant un peu combien le parcours d'AMP est exigeant. Il ne le sera pas de la même manière pour toutes les femmes. Je vous ai parlé de celles pour qui long est le chemin. Celles qui ont dû s'adapter, réfléchir à leur vie, leurs choix, se poser des questions et apporter des réponses auxquelles elles n'auraient pas songé si la grossesse avait surgi sous la couette, comme elles l'avaient rêvé.
Perdre un bébé, pour une femme qui a déjà traversé cette expérience, me semble exiger d'elle un surcroît de ... ? De quoi ? Le mot "surcroît" suffit.
En effet, elle ne peut pas, comme sa compagne de douleur à la Maternité, se raccrocher le moment venu à l'idée de concevoir un autre enfant. Elle peut y penser, bien sûr, mais elle sait de quoi elle parle et ce qui l'attend.
Si, tout bien réfléchi, elle revient des mois plus tard au Centre de Fertilité, elle sentira l'attention du corps médical, de toute l'équipe, chacun ayant conscience de la cruauté de la situation.
Alors, que faire ? Parfois médicalement, le meilleur possible ne sera pas nouveau. Les traitements se répèteront dans la mesure où la femme et le couple les demandent et les supportent : on n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise ! La nature travaille aussi et donne un enfant quand on ne l'attendait plus.
Cas de figure que chacun connaît, sans en comprendre le mystère.
Si elle ne revient pas l'équipe ne saura plus rien d'elle...
Recommencer encore, est-ce ne pas avoir fait son deuil ? Ou est-ce pour faire son deuil qu'elle recommence une dernière fois, pouvant ainsi se dire : "j'ai fait tout ce que j'ai pu" ?
Ne plus faire de traitement est-ce le signe d'un deuil en cours ? Et deuil de quoi ? De sa fécondité ? De sa grossesse ? D'un enfant ? D'un rêve de famille et d'un certain genre de vie ?
Rien n'est moins sûr.
Tous ces exemples, cette réflexion qui tourne autour du deuil, vous laissent peut-être entendre qu'en 30 ans de pratique j'ai dû me rendre à l'évidence : je ne sais plus très bien ce que ce mot veut dire.
C'est pourquoi je l'ai rapproché du mot "amour". Il en sera du deuil comme du sentiment amoureux. Leur description comportementale nous laissera toujours en dehors de leur secret, tellement intime qu'il affecte le sujet même de l'inconscient, celui que nous ne maîtrisons pas et qui nous met en branle.
Il y a autant de deuils que de sujets humains. Aucune hiérarchie ne peut s'établir, surtout vue de l'extérieur. Certaines situations, plus cruelles apparemment que d'autres, permettront à une femme, un homme, un couple, de prendre la décision radicale qui ouvrira l'espace d'autres désirs, du désir de mener autrement sa vie.
Certains réagiront en s'enfermant dans le chagrin, plus rassurés par la douleur connue que par l'inconnu d'une vie à vivre comme ils ne l'avaient jamais pensée.
Alix Franceschi Léger, Psychologue clinicienne, GHDCSS, Psychanalyste
Mes deuils
18 Mai 2010, une date à jamais gravée dans ma mémoire…
Mon deuil a commencé ce jour-là, au moment même de l’annonce de la malformation de mon fils. Le deuil de mon enfant encore vivant en moi, mais qui ne verra jamais le jour.
Mais peut-on parler de deuil si la mort ne l’accompagne pas ?
Les étapes ont pourtant bel et bien débuté : le choc, lors de l’annonce, le déni, entre 2 échographies, la douleur et la culpabilité pendant les 15 jours entre l’annonce et mon accouchement.
Seulement, mon bébé est toujours là lui ! Alors, comme lorsqu’un proche est condamné à court terme, on profite du peu qu’il nous reste ensemble pour vivre notre petit bout de chemin à fond.
Mais on prépare aussi le « vrai » deuil, celui qui va arriver très bientôt, bien trop vite. Il faut se renseigner aux pompes funèbres – alors que mon fils bouge encore tout ce qu’il peut dans mon ventre –, organiser la cérémonie, …
Après mon accouchement, j’ai vécu comme hors de mon esprit pendant des semaines, la troisième étape, la dépression. C’est à ce moment que le forum a été pour moi une planche de salut !
Echanger, comprendre que mon état d’esprit était partagé par d’autres mamans, ayant perdu elles aussi leur(s) bébé(s), quelle qu’en soit la raison. Bien entourée, cette phase a été, je pense, assez courte et de faible intensité.
Vient la reconstruction, la possibilité de sortir de chez moi sans pleurer, voir des femmes enceintes, 2 mois après mon accouchement, qui me paraissait si proche mais déjà si lointain…
J’ai vécu un deuil en deux temps, et cela m’a permis d’avancer si « vite » après le décès de mon fils. Le fait d’être préparée n’atténue pas la douleur, mais cela permet de mieux la dompter.
Mais justement, là où j’ai pu me préparer à la perte de mon fils, les mamans vivant une MFIU ou une fausse couche tardive se retrouvent, en un seul instant, à gérer l’annonce ET le décès de leur bébé. J’ai souvent pu lire sur le forum la colère de ces mamans envers elles-mêmes. Et, du fait de cette colère – ne l’ayant pas ressenti – je ne savais (et ne sais encore) pas comment réconforter ces personnes.
Parce que même si la finalité est la même, la façon d’appréhender la perte de son enfant et donc son deuil, est totalement différente selon le cadre du décès.
Marion
Un forum, des singularités, un même deuil
En août 2008, je donnais naissance à mes deux enfants suite à un accouchement prématuré, une fausse couche tardive d’un point de vue médical suite à une béance du col sous l’effet du poids.
Je m’inscrirai sur le forum de l’association Petite Emilie pour lire et partager avec d’autres mères mon/nos histoire(s). Celle(s) présentant des points communs à la mienne retiendront, les premiers temps, plus particulièrement mon attention : la perte de jumeaux, un bébé décédé après un parcours PMA. En parallèle, Je lirai aussi les histoires de parents qui ont perdu leur bébé dans des conditions totalement différentes (mort fœtale in utéro, interruption médicale de grossesse suite à la découverte de pathologies diverses). Je naviguerai de sujets en sujets. Je trouverai un groupe dans lequel je pourrai échanger. Ce groupe était constitué de mamans aux histoires totalement différentes. Je partagerai avec elles mes émotions, mes questions, mes doutes. Souvent j’évoquais la perte de jumeaux, le difficile parcours de la PMA, le deuil de la gémellité. Mon histoire me paraissait tellement singulière que je pensais qu’il existait autant de deuils que de bébés disparus et que seuls ceux qui avaient le même parcours que moi pouvaient m’aider, me comprendre. Cependant, je ne peux pas dire non plus que je ne me reconnaissais pas du tout dans les histoires des autres.
Au fil de nos discussions, chacune m’apportera son regard sur sa propre histoire. Je comprendrai que notre point commun était le deuil d’un enfant, que ce deuil était le même, même si chacune le vivait différemment en empruntant des routes différentes. L’important n’était pas tant l’histoire proprement dite que les sentiments qu’elle générait et que vivre le deuil d’un enfant consisterait d’une part à mettre des mots sur ses émotions et d’autre part à en trouver les causes pour arriver à se reconstruire.
Ma colère reposait sur le fait qu’à mes yeux, « ces bébés étaient inespérés » alors que pour d’autres leur colère reposait sur le fait que « la maladie de leur enfant ne puisse pas être soignée ».
Ma culpabilité reposait sur le fait de « ne pas avoir assez pris suffisamment soin de mes bébés en me reposant davantage » alors que pour d’autres la culpabilité reposait sur le fait d’avoir « transmis les mauvais gènes à leur bébé ».
La singularité de mon histoire venait à mes yeux de « la gémellité parfaite (un garçon et une fille) » pour d’autres la singularité de leur histoire venait du fait que ce bébé disparu était « la seule fille dans la fratrie ».
Nous nous rejoignions aisément sur le sentiment d’incompréhension de nos proches, sur le sentiment de solitude ou encore sur notre incapacité à reprendre le cours de notre vie.
C’est selon moi c’est ce qui caractérise le deuil. Le deuil d’un enfant à naitre. Le deuil d’un enfant plus âgé. Le deuil d’un être cher.
Valérie
De Petit Patok au groupe de parole … et la solidarité qui nous unit
Septembre 2015. Nous en sommes à la 23e semaine et notre Petit Patok, comme nous l’appelons, a l’air de se porter à merveille. Nous attendons la deuxième échographie sans trop d’appréhension, car le fait d’avoir dépassé le premier trimestre est déjà une grande victoire. On commence vraiment à y croire. Après plus de deux ans d’essais, compromis par une trompe manquante et l’autre en mauvais état, nous avons franchi le pas de passer par une FIV et pour notre plus grand bonheur, cela a fonctionné dès le premier transfert. Tout se passe pour le mieux, nous avons pleinement profité de cette grossesse pendant l’été et le 11 septembre, une semaine avant l’échographie, nous partons aux Pays-Bas pour une grande fête de famille qui aura lieu le 13 septembre. Le lendemain, nous repartons à Paris très tôt, avec le souvenir d’une très belle fête. Mais des douleurs dans le ventre sont apparues dès la veille au soir et elles persistent pendant le voyage, par à-coups. On se dit qu’en rentrant on appellera la maternité, juste pour se rassurer.
De retour à la maison, la maternité nous propose de venir pour une consultation d’urgence. On peut y aller à deux, heureusement. En attendant notre tour dans la salle d’attente, le sentiment d’inquiétude commence à grandir, le ventre fait vraiment mal. Quand nous sommes enfin reçus, nous expliquons la situation au médecin. La gynécologue, que nous rencontrons pour la première fois, examine le ventre et demande : « depuis quand avez-vous des contractions ? ». Des contractions ? Nous étions loin de penser qu’il pouvait s’agir de contractions, à ce terme… c’était donc ça ! Le col avait commencé à s’ouvrir et ce n’était pas bon du tout. Un deuxième gynécologue vérifie à son tour l’état du col et fait une échographie exhaustive. Le bébé va parfaitement bien, nous dit-il, mais le col est ouvert et continuera à s’ouvrir. On nous dit que c’est trop tôt pour le petit, qu’il faudrait tenir encore au moins trois semaines pour qu’il puisse être pris en charge comme prématuré à sa naissance. On reste à la clinique, avec l’interdiction de se lever. Nous essayons d’y croire encore, espérer qu’on va tenir les trois semaines, immobilisé dans un lit. On rassure nos parents et on finit par se détendre un tout petit peu grâce à l’intervention de la psychologue de la maternité. Les contractions se sont arrêtées, on retient le souffle.
Mais dans la nuit elles reprennent, de manière de plus en plus insistante, jusqu’à nous faire comprendre qu’il n’y a plus rien à faire : il va falloir monter en salle de travail, Petit Patok est en train d’arriver. Les sages-femmes sont merveilleuses, nous sommes tous les deux dans la salle de travail, la péridurale est posée et elles nous encouragent d’essayer de dormir en attendant que la poche des eaux se rompe. L’ambiance est étrangement calme et nous restons étrangement sereins, en attendant, au milieu de la nuit, sans un bruit, seuls dans une salle à la lumière tamisée.
Nous sommes complètement dépassés par les évènements, aucune réaction ne nous vient spontanément. A ce stade, ni peur, ni tristesse, ni colère, que nous connaitrons seulement plus tard.
Le moment venu, à l’aube, l’accouchement va très vite, il est si petit. Mais il faut malgré tout pousser et c’est cela le plus dur : aider Petit Patok à sortir en sachant qu’il ne survivra pas là-dehors, tout donner pour qu’il naisse alors qu’on n’a aucune envie qu’il nous quitte. Naître signifie pour lui déjà partir. Que peut bien signifier devenir parent dans une situation aussi paradoxale ? Le temps d’y penser et c’est fait. Nous ne le voyons pas tout de suite, mais les sages-femmes nous apprennent que c’est un petit garçon et nous proposent de nous l’amener un peu plus tard, pour que nous puissions le garder un moment dans nos bras. Faire connaissance et se dire au revoir en même temps. C’est terriblement douloureux et très beau, les deux à la fois, car nous avons devant nous notre premier fils, celui qui nous accompagnait depuis des mois, que nous attendions depuis longtemps, à qui nous parlions et que nous avions déjà projeté dans notre vie future.
Nous avons passé environ une heure avec Petit Patok ce matin-là, à lui parler, à pleurer, à le regarder. Plus tard, de retour dans notre chambre, nous avons pu de nouveau l’avoir avec nous un instant, mais il avait déjà changé. Nous le reverrons encore une dernière fois quelques jours plus tard, à la chambre mortuaire, juste avant de nous séparer définitivement de son petit corps.
Nous avons passé si peu de temps avec lui, que le besoin était grand de donner plus de contenu à son existence, pour le rendre présent dans notre histoire.
Nous avons cherché des symboles, des morceaux de musique, des textes, que nous associerons à tout jamais à ce petit bonhomme. Nous les utiliserons pour animer une belle cérémonie, dans un parc aux couleurs naissantes de l’automne, avec la famille et de nombreux amis, venus partager notre joie et notre chagrin. Il est pour nous très clair, à ce moment-là, que Petit Patok fera définitivement partie de notre vie, pour nous et aux yeux de nos proches.
L’accueil de ce petit dans notre vie, dans la famille qu’avec lui s’est créée, n’a pas diminué notre douleur, mais cela nous a aidés à lui donner une place et à reconstruire quelque chose par la suite.
A la maternité, le personnel nous explique tout ce qu’on peut faire et nous faisons à peu près tout ce qui est possible : la déclaration officielle à la mairie pour l’obtention d’un acte de naissance, une cérémonie collective au Père Lachaise où Petit Patok sera incinéré quelques semaines plus tard, des consultations avec la psychologue de la maternité et, surtout, la participation à un groupe de parole, organisé par la maternité, avec d’autres parents ayant vécu un deuil périnatal.
Pendant un an, nous nous sommes réunis une fois par mois avec quatre autres couples. Cela nous a fait du bien de parler et d’être écoutés, d’écouter d’autres parler, d’élaborer les images et les émotions, parfois dans l’intimité de nos souvenirs. Malgré la diversité des histoires et des situations vécues, on se reconnaît les uns dans les autres. Au fil des séances, au fur et à mesure que l’expérience s’élabore, nous sentons aussi apparaître des différences, nous les cherchons peut-être même.
Nous nous apercevons que dans les autres histoires (deux IMG, une mort subite in utero, un décès juste après la naissance suite à une grave maladie), c’est l’état de santé de l’enfant qui était à l’origine de sa mort, alors que dans notre cas c’est le corps qui le portait qui a fait défaut, sans trop d’explications. Il y a aussi le fait que trois des quatre autres couples avaient déjà un enfant, ce qui change la donne : ce n’est surement pas moins grave, mais on ne doit pas le vivre de la même façon, pensons-nous. Nous attendions cet enfant depuis tellement longtemps et nous allions devoir attendre de nouveau.
Au bout de quatre mois, trois couples du groupe annoncent une nouvelle grossesse. Nous avons aussi repris du courage pour refaire une tentative de FIV, mais les choses se compliquent dès la première tentative : nous sentons un certain éloignement du reste du groupe. Encore quelques séances et le temps est venu de laisser place aux nouveaux parents endeuillés, nous partons chacun de notre côté.
Mais en dépit de la diversité de nos expériences et de nos histoires, une sorte de solidarité nous unit dans l’épreuve commune que représente la nécessité de surmonter le deuil d’un enfant parti trop vite, pour retrouver la vie et… peut-être un jour, redonner la vie.
Brigitte et Sandro
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