A l’épreuve du choix : IMG, soins palliatifs, handicap, …
Il n’y a pas un choix, mais des choix
Tout comme chaque grossesse qui est unique, chaque enfant est unique et chaque choix est également unique. Il est important de garder en mémoire que ce choix a été fait à un moment précis, dans un certain contexte. Le diagnostic d’une malformation, d’un handicap nous fait entrer dans les questions de la parentalité rapidement, peut-être trop rapidement, avec une décision à prendre pour l’avenir de notre enfant, et aussi de toute la famille. Une décision de parents aimants pour leur(s) enfant(s), la meilleure décision qui soit au moment où celle-ci est prise.
Un an avant, un an après ou dix ans après, cette décision aurait pu être différente, tout simplement parce que le contexte (familial, sociétal, médical, scientifique,...) aurait été différent.
Cela ne change rien à la justesse du choix qui a été fait à ce moment-là et qui restera toujours le seul possible.
Juliette
LE ROLE DU PROFESSIONNEL :
Pourquoi une consultation prénatale de pédiatrie spécialisée lors de la découverte d'une anomalie fœtale grave ?
La découverte d'une anomalie neurologique, en générale cérébrale, du fœtus lors de la deuxième ou de la troisième échographie de surveillance de la grossesse est un choc terrible pour la mère et son conjoint. Aussitôt l'image du handicap, de la souffrance, se substitue à celle de l'enfant attendu.
Dans la situation émotionnelle qu'est la grossesse, une telle découverte suscite des interrogations sur la certitude de l'anomalie, sur ce que sera le handicap, sur ce que cela peut impliquer pour l'enfant à venir, les conséquences pour les autres enfants et pour le couple lui-même.
Lors de la consultation prénatale toutes ces questions vont être posées au pédiatre spécialisé, le neuropédiatre. Les parents expriment leur désarroi, leur refus du handicap, l'impossibilité d'envisager une interruption de la grossesse, l'impossibilité d'avoir à décider, à choisir.
Ces questions, ce désarroi, témoignent de la nécessité de comprendre pour pouvoir envisager d'avoir à prendre une décision impossible.
Comment le neuropédiatre peut-il les aider ? Ni en les amenant vers une décision qu'il pense sage (que feriez-vous à notre place ?), ni en leur laissant décider seuls avec les informations techniques, brutes, froides, qu'on peut leur communiquer (le pourcentage de risque de handicap, l'incertitude quant à la sévérité du handicap).
Que le handicap soit certain ou possible, que sa gravité soit souvent, ou seulement parfois, importante, ce qui nécessite qu'on les accompagne est lié à la difficulté de la situation inextricable, aporétique, dans laquelle ils se trouvent brusquement projetés. Peut-on arrêter la grossesse de cet enfant qui est déjà présent, que l'on sent bouger, qui est attendu ? Peut-on envisager de lui laisser vivre, de lui faire vivre, une vie de souffrance ? Peut-on faire porter cette épreuve à nos enfants, ses frères et sœurs, à notre couple, avec les risques d'en pâtir toute sa vie ?
Que peut le pédiatre, le neuropédiatre en l'occurrence ?
Il peut les informer sur plusieurs points : d'abord sur le caractère certain ou non de l'anomalie ; sur le caractère constant ou possible du handicap lié à cette anomalie ; sur la gravité connue de ses conséquences si handicap il y a. Les parents demandent souvent des données chiffrées, des pourcentages de handicap, des chances que cela aille bien au bout du compte, l'existence de traitements qui permettraient d'éviter, de guérir ou de limiter le handicap. Il faut du temps pour comprendre et cerner la situation et les conséquences à court et à long terme de cette malformation
Vient ensuite le temps de l'action, de la décision. Il lui faut aussi du temps. Ce temps est nécessaire pour être sûr de ce que l'on veut. Du temps est aussi indispensable pour être sûr d'avoir pris la moins mauvaise décision, celle qu'on ne regrettera pas pour le reste de sa vie.
Pour cela, il faut avoir envisagé toutes les hypothèses, toutes les solutions possibles, les avoir chacune évoquées et rejetées souvent plusieurs fois de suite.
Ce n'est qu'ainsi, bien qu'ils n'y aient pas été préparés, qu'ils arrivent à savoir ce qui pour eux est possible et ce qui est inenvisageable. Ce cheminement doit être soutenu par la proposition de soutien psychologique, médical, en tout cas empreint d'humanité et d'humilité.
C'est souvent d'une grande aide de pouvoir leur dire qu'il n'y a pas de règle, que certains parents dans leur situation demandent une interruption médicale de grossesse (IMG) alors que d'autres choisissent la poursuite de la grossesse. Ils doivent savoir que la décision leur appartient si elle est légale (affection d'une particulière gravité et réputée incurable lors du diagnostic : loi Veil, 1975) et que le corps médical se conformera à leur décision.
La conformité de chaque demande d'IMG est discutée depuis 1994 dans le Centre Pluridisciplinaire de Dépistage PréNatal (CPDPN) et l'accord d'un obstétricien et d'un spécialiste de la pathologie est nécessaire.
Les parents s'enquièrent aussi de la suite. Celle-ci est évidemment différente selon qu'ils poursuivent ou qu'ils interrompent la grossesse. Cependant, que l'enfant naisse ou qu'il y ait eu une IMG, la suite implique la confirmation médicale des informations qui ont été données aux parents et sur lesquelles ils se sont en partie appuyés pour prendre leur décision. Nous y reviendrons.
Dès la consultation prénatale est abordé le suivi de l'enfant après la naissance, l'évaluation qui sera réalisée par le pédiatre de la maternité, et la surveillance de l'enfant pendant les tous premiers jours. Le suivi sera ensuite adapté à la façon dont il se comporte, comment il mange, comment il respire, de quels soins il a éventuellement besoin. S'il va bien, un suivi se mettra en place pour confirmer qu'il évolue bien avec le recul du temps. S'il a des difficultés, les soins appropriés seront donnés et un suivi en pédiatrie sera programmé en fonction de l'affection et les besoins de l'enfant. A l'inverse, si les parents demandent une IMG, les informations concernant les modalités de celle-ci seront expliquées par l'obstétricien.
Le dépistage prénatal a énormément progressé ces dernières décennies grâce à l'amélioration des échographies et les possibilités de faire des examens très performants pour préciser les anomalies dépistées et en rechercher la cause. Il est possible de faire une IRM fœtale sans risque et de réaliser une amniocentèse pour prélever du liquide amniotique et faire ensuite des examens spécifiques (recherche d'infection, études génétiques). Depuis quelques années, les avancées des techniques génétiques et d'IRM ont transformé la précision du diagnostic prénatal. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les anomalies dépistées sur le fœtus ont une évolution que l'on ne connaît pas souvent de façon précise après la naissance. Si les maladies génétiques dont on peut faire le diagnostic précis pendant la grossesse ont un pronostic qui est souvent assez précis, ce n'est pas toujours le cas et une même malformation cérébrale peut avoir des causes diverses et une évolution allant du handicap grave à l'évolution normale sans aucune pathologie. C'est par exemple le cas d'une malformation cérébrale fréquente, l'agénésie du corps calleux. Il est alors essentiel pendant la grossesse de recueillir tous les éléments nécessaires pour affiner le diagnostic et préciser au mieux le pronostic. Cela implique aussi que la confirmation des informations données pendant la grossesse soit vérifiée après la naissance ou après l'IMG
Le contrôle de la solidité du pronostic est nécessaire. D'une part pour en améliorer la qualité puisque nous ne disposons des informations du devenir de ces anomalies que depuis peu d'années et sur un petit nombre d'enfants. Il faut améliorer nos connaissances des anomalies prénatales pour lesquelles nos connaissances pédiatriques ne sont pas toujours applicables. On le comprend, la démarche prénatale pédiatrique spécialisée nécessite autant de professionnalisme que d'humilité.
Elle implique un suivi systématique du devenir de tous les enfants nés, y compris de ceux qui sont totalement normaux. Pour ceux qui ont une maladie, le suivi est doublement nécessaire : pour les soins et traitements dont ils peuvent avoir besoin, et pour préciser les éléments du pronostic qui peut être différent selon les enfants.
Enfin la question que se posent tous les parents, est celle de savoir s'il y a un risque pour les autres enfants déjà nés et pour les prochaines grossesses. Toutes les pathologies qui concernent plusieurs enfants dans une fratrie ne sont pas génétiques et toutes les maladies génétiques ne comportent pas de risque de transmission pour les autres enfants. Il est donc nécessaire de connaître la cause précise de chaque anomalie diagnostiquée, c'est-à-dire d'avoir un diagnostic de certitude de la cause de la maladie. Pour faire un tel diagnostic, la démarche ne sera pas identique en cas d'IMG ou de poursuite de la grossesse. Dans le cas de l'IMG, l'information sur la cause précise de la maladie passe par les examens autopsiques et les examens génétiques qui conjointement permettront seuls de connaître les causes précises des maladies qu'auraient eues ces enfants ; cependant le diagnostic de la cause précise n'est pas toujours possible, malgré la sophistication des techniques actuelles. A l'inverse, quand l'enfant est né, les examens peuvent être faits de façon plus habituelle, avec l'accord des parents. On fixera avec les parents le choix des techniques utilisées en fonction de la pathologie que présentera effectivement l'enfant et le moment de ces examens et selon le délai avec lequel ils désirent remettre en route une grossesse.
Thierry Billette de Villemeur, Sorbonne Université, Service de Neuropédiatrie, Pathologie du développement, Membre du CPDPN de l'Est Parisien, Hôpital Trousseau, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris
Voici deux témoignages qui racontent les difficultés liées au choix : le premier raconte comment chaque histoire est différente, que le jugement n’a pas de place et l’empathie et l’écoute sont les bases de l’accompagnement médical.
Le deuxième témoignage décrit une expérience d’IMG en Italie, dans un pays où les médecins obstétriciens objecteurs de conscience sont présents à 70%* et l’accompagnement psychologique/empathique est souvent très réduit voire parfois inexistant.
*Marianne « En Italie, les médecins objecteurs de conscience pourrissent l'accès à l'IVG » Publié le 28/02/2017
Chaque histoire a son parcours
Lorsque Petite Émilie nous a contacté pour raconter notre histoire, nous nous apprêtions à fêter Noël avec nos rituels : le petit sapin et le père Noël au cimetière, les 2 anges trônant en haut du sapin de Noël du salon, les 6 boules en forme de cœurs, … 6 cœurs car nous sommes bien 6, 4 beaux enfants, 2 garçons et 2 anges… Petite Emilie souhaitait que nous témoignions car nous avons malheureusement vécu une IMG et un accompagnement en soins palliatifs. Soyons clair ; ces quelques mots n’ont nulle intention de formuler un conseil sur l’orientation vers l’une ou l’autre de ces pratiques. Chaque grossesse est unique, chaque pathologie est différente et peut s’exprimer différemment. C’est pourquoi même au sein d’une fratrie, le choix peut être si extrême. Aucune décision n’est bonne, ni acceptable, mais elle doit se faire dans l’intérêt unique de l’enfant.
30 juin 2006 au réveil : je suis si impatiente, ce soir je vais enfin savoir si mon bébé est un garçon comme je le pense depuis le début. Il s’appellera Elliot ou Nathan. Difficile de se concentrer au boulot. 18h dans la salle d’attente blindée. Nous sommes 3 couples, tous au même stade de la grossesse. Enfin c’est notre tour, le premier couple vient de sortir tout sourire.
L’examen me semble interminable, silencieux. Puis soudain, le couperet tombe. Tout s’enchaine à une vitesse folle. Le médecin nous demande si nous avons les résultats de la première échographie, il trouve une mesure trop grande, il a besoin de l’avis d’un collègue, nous demande de repasser mardi soir. Nous sommes vendredi !
Voilà. L’angoisse est là, plus rien n’est pareil, au fond de nous on ne veut pas y croire, mais une petite voix nous dit le contraire. Un week-end horrible, ne rien dire à nos proches, après tout ce n’est peut-être rien, un mauvais calcul. Les deux journées de travail sont interminables.
Mardi 18h, l’échographe nous reçoit entre deux portes, il parle, je ne comprends plus : mesures, cerveau, hydrocéphalie, AVC, IMG… il faut arrêter la grossesse au plus vite. Il a pris rendez-vous auprès d’une collègue pour un second diagnostic. Silencieux, assommés, nous sortons du cabinet ; dehors les pompiers vendent des billets pour le bal du 14 juillet.
Le second avis, lui, est pire encore. Il brise tous nos restes d’espoir. Il faut arrêter la grossesse, et au plus vite. Il n’est même pas question d’envisager une autre solution : « votre enfant s’il survit à la naissance, n’aura jamais une vie normale, ce ne sera que souffrance, et puis il y a les risques pour vous de continuer la grossesse » … Rendez-vous pris à l’hôpital Necker, Enfants malades. Mais pas pour le soigner…
Je subis les décisions, je n’ai plus la force de parler, de crier, je ne veux pas entendre ce qu’ils disent, je ne veux pas qu’il entende. Ils le condamnent, lui qui me fait tant de petits coups de pied. Il est là, plein de vie, chaque petit coup de pieds me le rappelle cruellement … ce sera le 13 juillet. Dans une semaine.
Je ne supporte plus les regards sur mon ventre, la seule chose que je veux pour l’instant c’est rentrer chez moi … et ne plus ressortir. Nous ne dormons plus, nous voulons être seuls avec bébé, profiter du temps qui nous reste. Et si je désobéissais pour la première fois dans ma vie ? Si j’envoyais tout balader, on partirait tous les trois loin et on verrait bien… et puis non, je ne peux pas, je ne veux pas le voir souffrir, je ne lui veux que du bien… Mais le bien c’est quoi ?
La semaine passe lentement, reclus au fond de notre appartement. Nous fuyons le monde, ne sortons que pour les rendez-vous médicaux. Dehors c’est la vie, la folie, on est en pleine coupe du monde, cris, pétards. Chez nous ? C’est désolation, un tsunami vient de balayer notre avenir. Il est pourtant encore là notre avenir, niché au creux de mon ventre. Il me rappelle à lui, surtout le soir. Petits coups de pied qui me déchirent un peu plus chaque fois, devenant jusqu’en à être insupportables.
12 juillet. Ce soir, nous allons à Necker. Je ne veux pas, je veux fuir, mais pour lui je me dois d'être forte. Je doute tellement. Les progrès de la médecine sont là, le cerveau est encore tellement inconnu… et s’ils se trompaient ? La nuit est insupportable, je pleure sans cesse depuis ce 30 juin, à l’étage mère-enfant où nous sommes, des nourrissons pleurent aussi… sans cesse.
L’infirmière arrive tôt, trop tôt. Je ne suis pas prête à le laisser partir, à l’abandonner. Je pleure, je ne suis plus vraiment là. Dans la salle de naissance, on me demande si je suis toujours d’accord. D’accord de quoi ? Je ne veux pas qu’on me le prenne. Mais pour toi mon Elliot, je ne veux pas de cette vie de souffrance, j’avais tant de rêves pour toi, je t’avais promis une vie de bonheur, et nous sommes là à quelques minutes du néant. Si seulement, j’avais le courage de dire non, je crie non mais les mots restent nichés au fond de ma gorge. Je laisse faire l’injection, mon corps reste figé dans le silence alors que mon esprit supplie qu’on arrête.
C’est fini. Plus jamais tes petits pieds ne viendront me réveiller, ils me manquent déjà tellement. Tu es parti mais encore en moi, je refuse que tu naisses, qu’on nous laisse encore quelques heures ensemble. Tu naitras finalement sans un cri à 19h26. Ton papa te verra, te parlera, te prendra dans ses bras pour te bercer. Moi il me faudra attendre 2 jours pour trouver la force de cette rencontre. Tu es si beau, si doux, si petit, comment ont-ils pu dire que tu serais un danger pour moi ? Toi notre ange.
Le retour à la maison, l’épreuve ultime. Ta chambre si vide, un lieu où je me refuse d’aller. Les jours passent, l’attente des résultats, persuadée qu’ils se sont trompés. Tous les deux dans cet appartement sans vie, l’un veillant sur l’autre. Et puis, Papa doit reprendre le travail dans quelques jours, je vais être seule toute la journée avec ce congé de maternité si long, avec mes pensées, mes remords. Les résultats arrivent enfin, un nom barbare. On nous dit chanceux car on a un nom sur la maladie… pas d’autres explications, il faudra se contenter de ça. Oublions Internet qui nous fait un condensé d’horreurs.
Je suis amputée, mon ventre est vide. Tout a perdu de son intérêt, la vie a un goût amer. La vue d’une femme enceinte m’est insupportable. Tu n’es plus là mon ange, mais le désir d’enfant est toujours là, cela devient une obsession. Le mariage de ma sœur. Toute la famille est là, bien aimante mais tellement maladroite…
C’est à cette période que j’ai découvert un peu par hasard Petite Emilie, son forum qui m’a aidé à accepter d’être maman malgré tout, ne plus me sentir seule, toutes ces familles souffrantes, me redonner l’espoir… ma nouvelle famille, celle qui enfin me comprend.
Je finis enfin par convaincre Papa de te faire un petit frère ou petite sœur. Tu aurais dû naitre le 8 novembre et c’est à cette date que j’apprends que je suis à nouveau enceinte. Heureux et terrifiés à la fois.
Les jours passent, première échographie, le cerveau est étudié de tous côtés, tout va bien ! Pour nous rassurer, on aura même droit à une échographie supplémentaire à 18 semaines. Lentement, le ventre s’arrondit, et bientôt le retour de ces petits coups de pied qui m’avaient tant manqués. J’ai peur, je garde ça pour moi, il ne faut pas que j’angoisse ton papa encore plus, pour lui aussi c’est terriblement dur.
22ème semaine. La date que nous redoutions arrive. A Necker, presque tout le monde nous connait ou reconnait. Pendant l’examen, je vois bien que l’attitude du médecin qui nous suit depuis Elliot, est en train de changer.
‒ « Votre bébé m’inquiète ».
Voilà tout est dit, pas besoin d’en dire plus. Désemparée et au bord des larmes, notre obstétricienne trop impliquée dans notre grossesse ne souhaite pas continuer l’examen. Son collègue nous recevra dans une heure pour refaire l’échographie. Une heure, seuls dans la voiture avec toute l’angoisse qui revient. Non pas encore, ce n’est pas possible ! Tout revient dans nos têtes : l’amniocentèse, les échos, l’IMG, la naissance, la séparation … nous n’avons pas encore fait le deuil d’Elliot qu’il nous faut envisager celui de notre fille ? A tant se focaliser sur le cerveau, personne n’avait envisagé qu’une autre pathologie pouvait atteindre notre nouveau bébé. Ne dit-on pas :
« la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit ». Et pourtant…
Nouvelle échographie et amniocentèse qui confirmeront que notre bébé est lui aussi condamné par une trisomie 18. Je connais cette maladie, je sais qu’elle est létale à court terme. Les malformations de Charline sont graves. Mais si seulement l’équipe médicale acceptait de prendre en charge à sa naissance son hernie du diaphragme, elle pourrait vivre quelques mois « paisiblement » entourée de ses parents qui ont tant à lui donner. J’ai tant souffert pour Elliot, j’ai subi leurs décisions qui étaient avec le recul le seul choix possible et acceptable pour notre fils. S’il avait survécu à la naissance, comment serait-il ? Dans quelles conditions vivrait-il ? Souffrirait-il ? Une migraine est déjà si difficile à supporter…
Sur le forum, je découvre des parents qui refusent l’IMG, ils font le choix de l’accompagnement en soins palliatifs. Charline dis-moi ce que nous devons faire ? S’accrocher chaque jour ? Tenter la naissance dans le but ultime de notre rencontre magnifique, d’instants volés si précieux. Je me refuse de faire ce choix, c’est toi ma chérie qui le fera pour nous. Convaincre Papa de te mener à terme, lui qui ne veut pas te voir souffrir sera plus facile que j’avais prévu, en effet il aurait tellement voulu pouvoir se sentir père en s’occupant de ton frère Elliot après sa naissance. Chaque jour passé est maintenant une victoire.
Necker nous a rassuré, une IMG reste possible jusqu’au terme de la grossesse. Tu seras prise en charge par une équipe de pédiatres pour t’éviter toute douleur. A cet instant, tu vas « bien », tu ne souffres pas.
Les photos 3D nous montrent un bébé comme les autres, beau, paisible, qui suce son pouce, … On se laisse le temps, celui qui nous avait fait tant défaut pour notre fils. Les jours passent, suivi de grossesse presque comme les autres, hormis les ponctions de liquide amniotique et les RDV chez le pédo-psy qui nous apprend à faire le deuil d’Elliot et commencer à fabriquer des souvenirs de nos deux anges. Plus le temps passe, plus l’évidence est là : toi aussi, tu veux de cette rencontre, nous voir, nous connaitre. Tu es là, dans mon ventre, bien installée.
Cette rencontre se fera le 26 juin. Ta naissance s’est passée paisiblement. En vie, défiant les pronostics les plus optimistes ! Bien sûr, tu n’as pas eu la force de pleurer, on t’a mis dans mes bras, quel bonheur, de te sentir contre moi, ton petit corps chaud, ta douceur, ton calme. On s’est regardés longuement, je n’ai cessé de te dire je t’aime, de t’embrasser, de sentir ton odeur. Papa était là aussi, si heureux de te voir, rassuré aussi de voir que tu ne souffres pas, de pouvoir te toucher, te dire ce qu’il n’avait pu dire à Elliot. Des photos, tes empreintes figées dans le plâtre, un bout de cheveux. Que tu es belle dans tes petits habits ! On te confie ton doudou lapin qui restera avec toi pour toujours et puis surtout on te dit tout ce que nous aimerions que tu dises pour nous à Elliot. Le temps est suspendu.
Et puis l’inévitable arrive, même si nous ne voulions pas le voir. La maladie reprend ses droits. La pédiatre t’administre un petit calmant… tu t’endormiras pour toujours calmement dans mes bras. Une heure de bonheur à nous trois.
Nous organisons difficilement tes obsèques, nous qui n’avions pas eu la force de le faire pour ton grand frère. Quel regret là-encore ! Comme si ta naissance nous avait permis de réaliser ce que nous étions incapables de faire pour ton frère.
Confrontés au pire, la vie nous a obligés à faire des choix impossibles. Pourtant, en y réfléchissant bien et en remettant les choses dans leur contexte, nous avons probablement fait les meilleurs choix possibles pour nos deux enfants.
Ce que nous pourrions apporter par ce témoignage serait de prendre tout le temps nécessaire, dans la mesure du possible bien évidemment. Rencontrer, sans précipitation, les assistantes sociales, psychologues, pédopsychiatre, associations, telle Petite Emilie, c’est grâce à l’ensemble de ces structures que les réponses aux nombreuses questions que l’on se pose dans ces moments tragiques permettent de prendre la moins « pire » des décisions. C’est sans aucun doute ce temps de réflexion qui nous a manqué et qui fait que la décision d’une IMG pour Elliot a été difficile à accepter. Le travail de deuil qui a suivi a été beaucoup plus compliqué car nous avons eu le sentiment d’avoir subi l’IMG au regard d’un profond pessimisme de l’équipe médicale sur les conditions de survie d’Elliot après sa naissance et aussi par un accompagnement trop « léger » sur les questions administratives post-natal.
Vivre l’accompagnement en soins palliatifs nous a dès lors été plus facile pour Charline, ayant eu la certitude que les souffrances seraient prises en charge et que le recours à une IMG restait possible à tout moment. Enfin continuer la grossesse nous a permis d’aller jusqu’au bout de cette rencontre magnifique, manques qui resteront à jamais gravés avec le recours en urgence à l’IMG.
Christelle et Ludovic
Le choix de l’IMG en Italie. Une nouvelle inquisition ?
Je m’appelle Laura Fiore, je vis à Naples, en Italie, j’ai presque 50 ans et il y a 10 ans j’ai affronté une interruption médicale de grossesse avec autour de moi une équipe médicale d’objecteurs de conscience.
A cause de mon gynécologue qui a mal suivi ma grossesse je fis tardivement l’amniocentèse et le résultat est arrivé lorsque j’étais déjà à la vingtième semaine de grossesse.
Le résultat est tombé un mardi, ma fille avait une trisomie 21 et moi je n’ai eu que 4 jours pour me décider … la loi en Italie sur l’IMG permet d’interrompre la grossesse avant la 24ième semaine mais en réalité, dans certains hôpitaux dans les cas où le fœtus est vivant après l’accouchement ils pratiquent une réanimation forcée, dont la limite imposée est autour de la 22ième semaine.
Dans mon hôpital la limite était de 22 semaines et 6 jours.
J’ai appris le résultat le mardi 3 juin à 20 semaines, je rentrais dans la 21ième semaine le vendredi.
L’hôpital me convoquât pour un entretien psychologique et je pris la décision de commencer le processus pour l’interruption tout de suite sans attendre, même si je n’étais pas sûre de mon choix ; si je changeais d’avis je n’avais qu’à ne pas me présenter le jour de l’hospitalisation.
Je voulais être sûre de ne pas dépasser les 22 SA et de pouvoir garder toujours la possibilité d’une interruption de grossesse. Après les 22/24 SA en Italie on n’a plus choix, il faut aller au bout de la grossesse.
La décision définitive, je l’ai prise le jeudi suivant…
Le résultat des analyses a été communiqué à mon gynécologue, qui a appelé d’abord mes parents. Ils étaient avec ma sœur, du coup ils l’ont su avant moi. Puis mon mari a été informé … et moi enfin !
Mon père et mon mari souhaitaient que j’interrompe cette grossesse, ma mère et ma sœur voulaient que je la poursuive.
Ma sœur et mon beau-frère m’offrirent leur soutien, même économique, si je décidais de garder ma fille.
Moi je ne savais pas quoi faire.
Puis le jeudi matin j’ai lu un article sur le sujet. Il était écrit à la première personne par une femme trisomique de 24 ans : elle disait être autonome presque en tout, elle travaillait, elle allait au travail toute seule en autobus, elle avait suivi un cours pour apprendre à s’en servir, le matin elle choisissait ses habits et les couleurs toute seule, mais c’était sa mère qui les achetait.
A l’époque ma première fille avait 4 ans, elle aussi choisissait ses habits le matin, mais bien sûr elle n’allait pas les acheter toute seule.
Voilà comment ma fille trisomique aurait été si je l’avais mise au monde : une enfant pour toute la vie, et moi qui avait déjà presque 40 ans je ne me pouvais pas me permettre de la laisser seule dans ce monde difficile.
Je sais qu’il y a des personnes trisomiques qui arrivent à gérer leur vie de façon très autonome ; mais pas toutes, et alors dans le doute j’ai préféré ne pas la mettre au monde.
La loi italienne prévoit qu’un accompagnement psychologique puisse être proposé pendant le processus hospitalier pour une interruption de grossesse, mais dans les faits, puisque cela a un coût le chef de service ôte cette possibilité à ses patientes.
Donc moi non plus je n’ai eu aucun suivi.
A l’hôpital pendant l’admission et l’hospitalisation j’ai rencontré 2 patientes très croyantes qui m’ont fait des remarques sur mon choix, et auxquelles je me suis sentie obligée d’expliquer mes raisons.
A la fin de l’accouchement le fœtus était vivant, et une réanimation forcée fût réalisée contre ma volonté et celle de mon mari aussi.
Elle n’a vécu que 4 jours, un docteur dit, pour effrayer mes parents, qu’elle avait de réelles possibilités de survie. Une infirmière, elle, affirmait que j’aurais pu quitter l’hôpital seulement après avoir déclaré la naissance de ma fille, parce que, à la fin, elle était vivante.
Je l’ai déclarée, mais seulement après son décès.
Pendant l’interruption de grossesse entourée de médecins objecteurs de conscience j’ai été oubliée et je n’ai reçu que de la violence psychologique, on me répondait que je devais m’en sortir toute seule.
Cela a été une expérience douloureuse et je me suis sentie très seule, abandonnée, et alors j’ai écrit afin d’éviter que cette expérience ne se reproduise avec des autres femmes.
Laura
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