Le suivi psychologique, un moyen pour avancer entre autres ?
Si on étudie un peu les différentes cultures autour du deuil, nous remarquerons qu’il n’y en a pas une où les endeuillés restent seuls. Dans l’imaginaire collectif, le deuil se vit entouré, où les gens qui ont connu le ou la défunte pleurent ensemble et échangent ensemble leurs souvenirs de la personne décédée ; chacun participant collectivement à ce passage entre la vie et la mort. Lorsque la question du deuil périnatal se pose, la question du souvenir est toute autre. Les personnes ayant connu l’enfant qui devait naître sont rares. Et qu’est-ce que connaître ? On peut dire que la mère a connu dans sa chaire cet enfant, le compagnon ou la compagne, lorsqu’il y en a un(e), a peut-être vu ce ventre s’arrondir et senti des coups de ce bébé ; les familles ont pu voir des échographies, des photos, des vidéos, entendre des enregistrements de battements de cœur. Mais les souvenirs sont infimes. La question du deuil est donc principalement celle du deuil des projections qui ont été faites par les parents. Projection d’une vie en croissance, d’une vie à plusieurs. Le deuil devient donc très difficilement partageable dans cette configuration. Il devient parfois même incompréhensible pour l’entourage. Or, est-il possible de cheminer dans son deuil tout seul ? N’a-ton pas besoin d’aide, d’entourage ? De plus en plus les professionnels de santé sont formés et sensibilisés à cette question et peuvent être une aide dans l’accompagnement du deuil périnatal.
LE POINT DE VUE DU PSYCHOLOGUE
Prendre en charge le deuil périnatal se fait dans la temporalité. C’est une attention qui doit se porter avant, pendant et après le décès de l’enfant à venir.
Avant, c’est d’abord une préparation des parents et de l’entourage. Celle-ci se fait par l’annonce, la pose du diagnostic et la transmission des informations nécessaires et demandées par les parents.
Pendant, c’est être disponible et bienveillant lors de l’acte (de l’IMG si c’est le cas, ou de l’accouchement par exemple).
Après, c’est l’écoute et le soutien durant ce temps suspendu, ce temps où les endeuillés ont justement besoin d’un délai pour assimiler, comprendre, rester sur place tout en avançant et reculant.
Toutes ces étapes de la prise en charge demandent une disponibilité -temporelle, psychique, mais aussi spatiale, avec des lieux adéquats pour vivre ce deuil-, une bienveillance, une empathie et une écoute totale.
Du point de vue du psychologue, c’est spécifiquement l’accueil de la parole et de la peine des parents. C’est légitimer cette peine qui est souvent ignorée par le reste de la société, c’est accepter les temporalités uniques de chacun et chacune de nos patient(e)s et permettre un espace de paroles et de pensées qui ne sont pas forcément acceptées en dehors de l’entretien psychologique. En effet, il est important de permettre aux patient(e)s de dire ce qui « ne se dit pas », « ne se pense pas » en dehors du bureau. Il est également important d’expliquer aux parents que ce qu’ils vivent est « normal » et légitime. Que même si leur souffrance est unique, leur processus de deuil est quelque chose d’universel et qu’il n’y a pas de recette miracle ni de « durée acceptable ». Souvent, cette reconnaissance fait du bien aux parents. C’est d’ailleurs ce qu’ils recherchent parfois en allant participer à des groupes de parole ou sur le forum de l’association.
Le psychologue doit être à même de proposer des outils pouvant aider les parents lorsque ceux-ci les demandent ou en ressentent le besoin (association, livres, album pour les enfants, …)
Mais le travail du psychologue lors de la prise en charge du deuil périnatal, ce n’est pas seulement ça. C’est également la sensibilisation de l’équipe dans laquelle il travaille. En effet, la prise en charge du deuil périnatal est l’affaire de tous et toutes dans une Maternité (ou tout autre institut pouvant recevoir des parents endeuillés). Il se doit de déconstruire les idées reçues de ses collègues et leur faire penser leur pratique et protocoles de manière à respecter les patient(e)s. Il est encore trop fréquent que des professionnel(le)s aient des remarques déplacées, soient brusques ou manque d’empathie. Ces comportements rajoutent tellement de difficultés aux parents qui sont déjà dans une souffrance immense.
C’est d’ailleurs ce qui rend le deuil encore plus difficile pour beaucoup de parents : la non prise en compte de leur souffrance dans la société. Il est donc primordial que les accompagnant(e)s soient les plus bienveillant(e)s possible. D’ailleurs, si le tabou du deuil périnatal n’était pas si imposant et étouffant dans notre société ; si les parents étaient reconnus comme parents, en souffrance ; si on les écoutait et leur laissait le temps de se (re)construire, alors sûrement que la question de la prise en charge du deuil périnatal n’aurait même pas besoin de se poser.
Aline, Psychologue clinicienne
TEMOIGNAGES
Mon indispensable exercice intellectuel
Fin Août 2008. Je me rends au rendez-vous avec le gynécologue qui me suit. Il n’était pas présent lors de mon accouchement mais il a été contacté par le médecin qui m’a prise en charge. Je suis dévastée. Je n’arrive qu’à ânonner entre sanglots et reprise de respiration. Il me propose d’être accompagnée par un psychologue. J’accepte sans hésiter, sans poser de questions, sans même savoir ce qu’était un suivi psychologique. Anéantie, je saisis toute l’aide qui m’est proposée. J’appelle cette personne. Elle me fixe un rendez-vous très vite. Je ne me pose toujours aucune question. Je me rends à ce premier rendez-vous. Je me laisse guider. Je me souviens m’être présentée, avoir raconté mon histoire. Les premières séances sont entrecoupées de nombreuses pauses. Les larmes sont omniprésentes. Je me répète. Je me répète.
Les séances sont longues. Parfois presque deux heures de tête à tête. On se voit une fois par semaine. Son cabinet est très proche de chez moi. Au fil des séances, mon propos est plus structuré. C’est toujours moi qui commence la séance. Je parle spontanément de ce que je veux.
Ma psychologue ne m’interrompt jamais. Parfois elle répète un mot, une phrase que je viens de dire. Elle me demande d’approfondir. Il peut y avoir des minutes de silence durant lesquelles je cherche la (des) réponse(s) dans ma mémoire. Parfois, je ne trouve pas. Elle me dit de citer ce que je vois, ce que je ressens y compris simplement des mots, des images. Elle me relance ou n’insiste pas selon les cas. On continue ou on passe. On abordera de nombreux sujets : la maternité, les relations familiales et amicales, le couple, le travail, la PMA, la mort, j’en oublie…. De nombreux aller-retours. Je mettrai des mots sur mes émotions même les plus indicibles. Elle m’invitera à tisser des liens entre les différents sujets que nous abordons depuis le début. Elle me proposera parfois d’autres liens que je ne vois pas ou que je ne veux ni peux voir en me demandant de les développer. Certains me seront inaccessibles sur le moment. Les larmes reviennent au détour de certains sujets, me surprennent. Elle ne les laissera jamais de côté, elle ne brusque pas mais m’aide à les identifier. Je ressors de ces séances parfois avec l’impression d’avoir le cerveau embrouillé, la tête pleine de questions voire déstabilisée, parfois épuisée. Je retrouve enfin la sensation d’avoir envie de dormir.
Je me surprends régulièrement à trouver la réponse à une question dans mon quotidien, comme un flash, comme si la séance continuait au-delà du temps passé face à elle, sans m’en rendre compte.
Pendant une année je me rendrai à ces rendez-vous hebdomadaires. Toutes les séances ne revêtent pas la même intensité mais c’est un sas dont j’ai besoin, une bulle d’expression libre.
La deuxième année, les séances s’espacent. Je n’ai jamais rompu les liens avec cette professionnelle. Elle a continué à m’accompagner au fil des nouveaux évènements qui ont marqué ma vie. J’y suis revenue récemment pour faire le point sur ce que je vivais à l’heure actuelle. Elle est aujourd’hui la gardienne d’une partie de mon histoire et est la seule personne avec laquelle je peux reprendre un travail de fond sur moi-même à n’importe quel moment.
Aujourd’hui avec le recul, je comprends le sens et la force de cet accompagnement à la hauteur du traumatisme vécu, principalement psychologique. Cette force vient du type d’activités qui m’ont été proposées : comme un kinésithérapeute reçoit un patient après une intervention chirurgicale lourde pour rééducation afin que cette personne marche à nouveau, retrouve sa ceinture abdominale…… et lui propose des exercices progressifs, j’ai moi aussi fait des exercices, exercices intellectuels. Ce qui me semble primordial c’est que j’ai été active dans cette démarche. C’était une façon de prendre en main ma propre histoire, ma propre reconstruction et de comprendre et choisir le sens que je voulais lui donner. Les réponses venaient de moi et uniquement de moi. Personne n’est prêt, ni plus à même qu’un autre, à faire ce type d’exercices comme personne n’est prêt à passer une période de convalescence après l’annonce d’une opération, d’un traitement lourd. Cette thérapie est longue et ces effets ne sont pas perceptibles immédiatement. J’ai pu trouver ci et là d’autres propositions (acupuncture, yoga, ostéopathe…). Ces activités me semblent complémentaires : ces dernières permettent, quant à elles, de reprendre contact avec son corps.
Bien évidemment ce n’était pas une obligation d’accepter ce suivi mais comme pour la rééducation avec un kinésithérapeute mais je suis aujourd’hui convaincue que ma reconstruction est plus solide que si j’avais seulement laissé le temps faire son œuvre. Je comprends et j’assume pleinement les choix que j’ai faits, avant la naissance et après la naissance de mes enfants.
Sûrement ai-je eu la chance de me sentir en confiance avec cette professionnelle ? Dès le départ, je sais que je lui ai accordé cette confiance. Elle était diplômée d’état, conseillée par mon médecin, proche de chez moi. Cela m’a suffi. Homme, femme, spécialisé(e) en deuil périnatal sont des points qui n’ont pas retenu mon attention.
Aujourd’hui j’aimerais que toutes les personnes vivant un évènement traumatisant psychologiquement (décès, accident, maladie……) puissent recevoir un accompagnement par un(e) professionnel (le). La prise en charge de la dimension psychologique est tout aussi importante que la dimension physique. Il existe selon moi autant de suivis psychologiques que de patients, charge au professionnel de trouver celui qui aidera au mieux le patient qu’il suit, c’est tout l’enjeu de la relation professionnel-patient.
Valérie
Parler avec qui me comprend
Le 24/06/2015, j’ai accouché de ma fille Valentina, IMG à 21 semaines. A l’hôpital, j’entendais dans les chambres d’à côté des pleurs de naissances et moi je pleurais en silence.
A cette époque-là, on nous a proposé un suivi psychologique (surtout pour moi) mais je n’en voulais pas. N’ayant pas le choix, j’ai dû faire un RDV avec un psychologue et l’on m’a donné un autre RDV, un mois plus tard auquel je ne me suis même pas rendu. Je me souviens que la seule chose dont la psychologue voulait me parler était le présent et « le transfert » (« Il ne faut surtout pas tomber enceinte avant la date prévue de votre accouchement pour ne pas faire de transfert ») et je souffrais tellement que j’avais besoin de penser à l’avenir pour sortir de ce cauchemar. Je venais de perdre mon premier enfant après 3 fausses couches et je n’avais absolument pas envie de parler sauf avec des gens qui me comprennent. Pour moi, seuls les gens ayant vécu la même chose pouvaient me comprendre. Je n’ai donc pas eu de suivi classique avec un psychologue.
J’ai eu le soutien de certains membres de ma famille. Ma sœur et ma maman m’ont aidé en parlant de Valentina, en acceptant qu’elle avait existé. Mon mari et moi nous sommes beaucoup soutenus, nous avons énormément communiqué, nous savions quand nous avions besoin de parler l’un et l’autre et nous le faisions naturellement. Nous avons été notre soutien.
J’ai également cherché beaucoup d’informations sur internet, forum, associations pour lire. J’avais besoin de réponses, savoir que malheureusement nous n’étions pas seuls. C’est à ce moment-là que j’ai pris connaissance que nous étions si nombreux à vivre cette épreuve qu’est le deuil périnatal. Je lisais beaucoup de témoignages sans avoir le courage ni l’envie de partager notre expérience.
Jusqu’au jour où nous avons envie d’en parler, parce que nous avons ce sentiment qu’autour de nous que plus personne ne pense à notre fille partie beaucoup trop tôt. Avec l’accord de mon mari, j’ai donc participé à une émission pour parler et faire connaitre notre souffrance que personne ne veut reconnaitre parce qu’ils n’ont jamais connu notre fille.
Aujourd’hui nous avons deux petits bonhommes David et Samuel qui nous apportent beaucoup de bonheur. Valentina reste présente dans notre vie, nous pensons à elle chaque seconde de notre vie, même si nous parlons moins souvent d’elle avec nos deux petits hommes à nos côtés. Dernièrement j’ai avoué à mon mari que je souhaiterai que nous parlions plus souvent de Valentina parce que nous en avons besoin pour que personne autour de moi ne l’oublie.
Cintia
Je ne suis plus seule
Le deuil d’un enfant n’est jamais chose facile et chacun a sa propre vision de comment surmonter ça. On n’est pas égaux face à la douleur de cette perte et je pense que le principal est de faire comme on peut au moment où on le peut. À la perte de notre fils, j’ai été voir la psychologue que l’on m’avait conseillée. Lors de notre première séance, je n’étais pas à I ’aise, elle ne me posait pas les bonnes questions, n’avait pas les bonnes réponses, j’avais I ‘impression de perdre mon temps, et qu’elle ne comprenait pas ou peu ce que je ressentais.
J’ai donc décidé de ne plus y aller au bout de trois séances. Mais toute seule je ne m’en sortais pas, et après quelques mois à donner le change je suis tombée dans une grosse dépression.
Mon médecin, mon mari, mon père se sont relayés pour me soutenir, m’écouter... avec mon mari on parlait énormément, il me comprenait, me soutenait beaucoup et un soir on a décidé que j’irais voir sur le forum Petite Émilie.
Le lendemain je suis allée voir, je me suis inscrite, et là, je lis ces histoires, toute ces histoires communes à la finalité de la mienne, je discute même avec une dame qui finit par m’appeler mamange ... Quoi ? Je suis une ... Mamange, le nom me parle, me rassure même…je ne suis pas la seule, je ne suis plus seule.
Chaque jour je raconte à mon mari que I ’avenir sera meilleur que je veux y croire elles y sont bien arrivées elles !!!
Alors mon mari me soutient, m’encourage et avec I ‘accord de mon médecin, je diminue progressivement les antidépresseurs.
Mon mari m’emmène à la mer, lieu où je me sens le plus libre au monde et là je crie, j’hurle mes angoisses, mes douleurs, ma colère, il est là derrière moi, à me soutenir comme toujours, comme jamais.
Lui il me porte par son amour et sa force ; les mamanges du forum par leurs réponses et la reconnaissance de notre petit ange.
Ainsi les jours, les mois passent et j’ai arrêté les antidépresseurs, je vais mieux, je n’oublie pas. Ça non jamais on oublie, mais je suis une mamange et je ne suis plus seule.
Delphine
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