La fratrie confrontée au deuil périnatal
LA FRATRIE LORS DE LA MORT D’UN TOUT PETIT
Pourquoi s’intéresser à la fratrie lors de la mort d’un tout petit ?
Car les frères et sœurs déjà présents au foyer vivent aussi un deuil !
Lorsque l’on dit “un deuil” rappelons que derrière ce seul mot en français il y a trois significations en anglais :
- la perte liée au décès « Bereavement »
-la peine, le chagrin, la douleur « Sorrow »
-le travail psychique de deuil « Mourning »
Non seulement les enfants de la famille perdent un frère ou une sœur mais ils perdent aussi une part de l’attention psychique de leurs parents effondrés par la peine.
Pense-t-on à s’inquiéter de ce que vivent les frères et sœurs ?
Et faut-il s’inquiéter ?
Que penser des enfants qui naîtront après qu’un tout petit soit décédé dans la famille ? Et cet enfant-là, comment va-t-il se sentir avec cette histoire ?
En tant que Présidente de l’association de soutien au deuil dans la période périnatale et de la petite enfance, Nos Tout Petits d’Alsace, je vais rassembler ici les questions échangées lors de différents groupes de paroles de parents endeuillés.
Dans un deuxième temps, je récapitulerai les informations utiles recueillies lors de lectures, de formations, pour ensuite suggérer quelques recommandations.
Les questions
Comment un enfant peut-il comprendre la perte d’un bébé qu’il n’a pas connu ?
« Tu vas avoir une petite sœur ou un petit frère ! c’est toi le grand maintenant !» … Mais le bébé ne vivra pas…l’enfant perd le statut d’aîné.
L’enfant voit ses parents tristes... A-t-il été décevant ? Insuffisant ?
Il entend que le bébé était tellement merveilleux... il n’aura jamais eu l’occasion de faire de bêtises. Il restera parfait. Peut- être que pour plaire à ses parents mieux vaut- il être mort ?
« Tu as déjà une sœur ou un frère mais il est mort. C’est ton aîné mais c’est un bébé ». Selon l'âge de l’enfant, il peut y avoir des peurs, des questions, une incompréhension.
Que dire ? Que faire ? Quand ? Pourquoi ? Comment ?
Ces thèmes reviennent de manière récurrente dans les groupes de paroles des parents qui ont vécu la perte d’un tout petit.
Quelles sont les représentations de l’enfant face à la mort ?
Quelle conception un enfant a-t-il de la mort dans sa période pré verbale ?
On lit que l’enfant peut se sentir responsable du malheur qui arrive à ses proches, mais à quelle tranche d’âge ? Et que faire pour qu’il ne se sente pas coupable ?
L’enfant qui est en âge de parler va parler énormément de la mort ou pas du tout, qu’est-ce qui est normal ou non ?
Plus grand, l’enfant peut avoir peur de sa propre mort, il peut être très clinique, poser des questions crues. S’il semble indifférent cela veut- il dire qu’il n’est pas touché, ou encore qu’il se protège ? Et l’adolescent, aborde-t-on la mort avec lui ?
Les informations
Les apports permettant de donner quelques pistes pour comprendre et apporter des recommandations nous viennent d’une part de la formation de Cécile Séjourné « accompagner le deuil d’un tout petit chez l’enfant » suivie en mars 2020, d’autre part d’ouvrages sur le sujet, et des rencontres avec des parents ayant perdu un tout petit.
Le contexte
Actuellement en occident les enfants côtoient peu la mort. La mortalité infantile a beaucoup diminué depuis ces cinquante dernières années. Les grands parents vivent plus longtemps qu’avant, les accidents ont diminué. De plus, les personnes en fin de vie meurent proportionnellement plus souvent à l’hôpital qu’au domicile.
La mort présente dans les films, dans les jeux vidéo, est irréelle. Elle est réversible. Ce n’est pas « pour de vrai. » Parfois c’est aussi un spectacle, c’est du sensationnel, c’est même « beau à vivre ».
Les jeunes parents ont peu d’expériences de la mort. Ils sont démunis, eux- mêmes dans leur peine et sans savoir comment accompagner leurs enfants.
Les représentations
Certains adultes pensent encore qu’il est préférable de préserver l’enfant en évitant d’utiliser le mot « mort », en écartant les enfants de l’accès aux funérailles, voire en ne disant rien. Les générations précédentes occultaient la réalité dans l’intention d’éviter la souffrance, mais les non-dits génèrent des difficultés psychiques complexes.
Lorsque l’enfant est encore petit, qu’il ne manifeste pas d’émotion, certains interprètent qu’il ne ressent rien, ou qu’il n’aura pas de souvenir de l’événement.
Ce sont de fausses croyances.
Conception de la mort en fonction des âges et recommandations
De 0 à 3 ans : l’enfant vit la mort du proche comme une absence physique prolongée. Il traverse alors les phases décrites par Bowlby dans son étude sur l’angoisse de séparation : protestation, suivi de désespoir puis détachement. Il aura besoin d’une présence physique substitutive pour compenser l’absence du bébé décédé et apaiser sa détresse. Il peut ressentir la perte comme un abandon.
Aussi, il est important de garder ses habitudes, son entourage. Il ressent les émotions des parents, aussi il faut mettre des mots sur ses propres émotions et/ou réactions. Face à cette situation qui bouleverse sa famille, le petit enfant n’a que son corps pour parler. Il faut être à l’écoute de ce qu’il exprime, et aussi verbaliser ce qui se passe.
De 3 à 5-6 ans : L’enfant est dans la phase de la toute puissance et de la “pensée magique”. Il prend tout au pied de la lettre (attention !) S’il a dit qu’il ne voulait pas de ce bébé, il peut s’imaginer que sa parole ou même sa pensée a pu faire perdre la vie au bébé. Sa culpabilité est d’autant plus vive qu’il est en pleine rivalité œdipienne.
Il a des jeux avec la mort, il peut être déroutant, provoquant, parfois agressif.
En revanche, s’il fait comme si de rien n’était, ne pas lui dire qu’il est méchant, mais comprendre que c’est une manière de se protéger, par un déni. On lui parle de ce qui est en train de se passer, on nomme ses propres émotions.
S’il se met à régresser, faire le bébé ou à faire des colères, il faut le rassurer, il a besoin de se sentir réconforté.
S’il pose des questions incessantes, on répond au fur et à mesure à ses questions, d’autant de manières que nécessaire.
De 6 à 8 ans : L’enfant a des questions physiques : que devient le corps, qu’est-ce qui fait qu’on meurt, est-ce que ça peut se transmettre, pourquoi on ne peut pas empêcher la mort ?
La notion de mort irréversible commence à être acquise.
Il se sent différent des autres enfants et a peur de ne plus être normal. Il peut éprouver de la honte. Il peut prendre le rôle de consolateur et se sentir la mission de “prendre en charge » un ou plusieurs autres membres de la famille.
Si les parents ne sont pas à l’aise, un psychologue peut aider l’enfant à exprimer ce qu’il ressent. Si l’enfant n’intègre pas le côté irréversible de la mort, son blocage risque de se répéter dans ses prochains deuils à vivre.
De 8 à 12 ans : A cet âge-là, l’enfant peut avoir des angoisses métaphysiques. Il accède au symbolique. Il commence à réfléchir sur le sens de la vie, sur la vie après la mort, l’existence d’un Dieu
Il se pose des questions sur la mort, sur celle de ses parents, sur la sienne, il prend conscience des implications du décès dans sa vie à lui, pour son avenir. Il a besoin de comprendre les causes véritables de la maladie sous un angle médical et scientifique.
De plus, la mort en pénétrant le monde de l’enfance, se rapproche dangereusement de lui. Son sentiment d’invincibilité et sa toute puissance sont entamés. Sa peur de mourir, est elle aussi exacerbée.
Sa croyance dans le pouvoir protecteur de ses parents est mise à mal.
Il maintient une façade de « grand ». Il peut afficher une sorte d’indifférence avec une absence transitoire d’émotions, faire comme si de rien n’était.
Il faut continuer de le tenir informer, l’inviter à parler de ce qu’il ressent, mais aussi des questions qui l’intéressent et ne semblent pas forcément en lien avec le deuil.
A l’adolescence : L’adolescent traverse une période de pertes, celles-ci réactivent des deuils anciens (des séparations, des renoncements, des déceptions). Il vit un processus d’autonomisation et parallèlement éprouve un lien avec le bébé.
Deux extrêmes :
• Soit l’adolescent privilégie le processus adolescent et « zappe » ce deuil en trop qui « le saoule ! ». Il fait alors mine de ne pas être concerné, ne rien ressentir.
• Soit il privilégie le processus de deuil et développe une attitude protectrice vis-à-vis des proches, se montre très raisonnable, trop sage.
A l’adolescence, la stigmatisation « endeuillé » va à l’encontre de l’identification aux pairs, il éprouve des sentiments contradictoires. Aussi, il faudra respecter sa pudeur, sans pour autant entretenir de tabou.
L’adolescent peut adopter des comportements à risques, il n’y a pas forcément de lien direct avec l’événement. Il faut garder le contact, s’enquérir de ce qui le préoccupe. Comme il se sent souvent incompris ou mal aimé, s’intéresser à lui, sans interpréter ses réactions.
L’enfant d’après
Dans nos échanges au cours des groupes de paroles, ou encore lors d’accompagnements individuels, le thème de l’enfant né après un deuil périnatal est récurrent. A la demande de parents, nous avons ouvert depuis trois ans un groupe spécifique pour échanger sur les interrogations soulevées.
Entre les injonctions du corps médical et celles de l’entourage, sur le délai recommandé avant de concevoir un autre enfant, les parents se disent perdus. En exprimant leurs pensées, ce sont bien souvent leurs propres sentiments qui sont paradoxaux. Les paroles dans les groupes reprennent des questions autour du sentiment d’abandonner le petit, comme mort une seconde fois, “peur de trahir la mémoire de l’enfant mort“. Il est parfois difficile d’imaginer aimer un autre enfant tant le disparu fait ressentir un manque” Que lui dire, à partir de quel âge ? ”
Les femmes enceintes après la perte d’un tout petit disent d’autant plus ouvertement leur ambivalence qu’elles sont avec d’autres parents ayant déjà perdu un enfant.
Tous les parents que nous avons rencontrés ont eu le besoin de parler avec leur ainé dès la période de la grossesse, évoquant l’histoire précédente.
Les parents ensuite parlent de l’enfant précédent, associent le frère ou la sœur aux visites au cimetière, ou à d’autres rituels.
Le plus compliqué est de parler de la mort de l’enfant d’avant lorsque soi-même on est encore très fragilisé, qu’on ne peut en parler sans ressentir une très forte émotion. Si le parent n’a pas pu intégrer le fait que le bébé est mort, il ne sera pas capable d’en parler avec le frère ou la sueur.
Un deuil compliqué peut amener un parent à nier la mort, et à entraîner les frères et sœurs dans des représentations hors de la réalité.
Les échanges avec d’autres femmes et hommes ayant perdu un enfant dans la période périnatale ou de la petite enfance participent à accepter les sentiments contradictoires.
Concernant les attitudes à vis-à-vis de l’enfant d’après, on retiendra que le tabou est à proscrire, et qu’il n’est pas nécessaire d’anticiper les questions de l’enfant, qui viendront peu à peu. On peut parler de la mort du frère ou de la sœur, expliquer les rituels aux dates anniversaires, aux journées commémoratives, etc…
L’enfant d’après pourra d’autant mieux intégrer la mort d’un enfant né avant lui que cela fera partie de la vie de la famille.
Conséquences
A tout âge, il est important de prononcer le prénom du bébé décédé.
Il est souhaitable d’utiliser un langage concret, simple et direct. Utiliser le mot mort. Les frères et sœurs, selon leur âge, pouvant prendre les expressions au pied de la lettre, il faudra éviter :
- « il est perdu » le frère ou la sœur pourrait vouloir partir à sa recherche
- « il est parti, » le frère ou la sœur ne va pas comprendre pourquoi le bébé est parti sans leur dire au revoir, va attendre son retour.
- « il s’est endormi pour toujours », cela peut entraîner des troubles du sommeil.
- « il est allé au ciel » le frère ou la sœur va se demander quand il va en redescendre.
Expliquer qu’on est triste parce que le bébé est mort. Rassurer le frère ou la sœur sur l’amour et l’attention qu’on lui donne, lui préciser que ce n’est pas de sa faute si on est triste. Garder ses habitudes s’il est en nourrice ou en crèche. Le frère ou la sœur peut participer aux funérailles, sauf si c’est trop dur pour soi-même en tant que parent, ou que l’on pense que la cérémonie sera trop longue pour lui.
Proposer à l’enfant d’être actif au moment des funérailles. Proposer (en expliquant ce qu’il va voir, entendre …) mais ne pas imposer.
Ancrer la perte dans une réalité concrète : voir pour croire. Participer à un rituel culturel, culturel, associatif, imaginé.
Proposer de faire des dessins, donner ou acheter un objet (doudou, jouet…), une photo, déposer une fleur…
Face au plus grand, proposer des lieux et des ressources adaptés en dehors du milieu familial.
Notamment entre pairs qui utilisent ses codes et ses modes de communication : Forums, sites, blogs, BD, mangas, films…
Les liens entre frères et sœurs sont, par essence, ambivalents et complexes. Il y a une rivalité qui participe à la structuration de l’enfant sur le plan psychique.
Lors du décès dans une fratrie, la culpabilité est souvent massive. L’enfant s’en veut d’être le survivant, d’autant plus lorsqu’il y a eu des jumeaux.
L’enfant disparu restant souvent idéalisé, le survivant peut se sentir déprécié, incapable de donner satisfaction. Il peut développer une baisse de l’estime de soi.
Pour autant il ne s’agit pas de dramatiser le deuil chez l’enfant : le deuil fait partie de la vie. Si l’enfant est affectivement entouré et sécurisé, il traversera cette souffrance. Le deuil n’est ni un problème à régler, ni une maladie à soigner, mais une souffrance à accompagner.
Divers ouvrages existent dans la littérature pour aider les enfants et leurs parents.
Il existe des cahiers à dessiner ou autre qui peuvent être des médias intéressants pour l’expression singulière des frères et sœurs.
Conclusion
La perte d’un enfant est un deuil marqué par une double peine pour la fratrie. A la perte du frère/sœur s’ajoute momentanément celle des parents.
La fratrie doit faire momentanément le deuil de parents indisponibles psychiquement. La fratrie est souvent face à des parents qui se demandent pourquoi et comment survivre à leur enfant.
Les enfants ne sont pas toujours associés aux visites à l’hôpital, au funérarium, aux obsèques… Or tout rituel permet de reconnaître la perte, la douleur. L’être humain a besoin de symboliser le manque pour ensuite accéder à l’intégration de cet évènement dans sa vie. Les enfants peuvent être très créatifs si on les écoute.
Le deuil dans la fratrie est sous-estimé. L’enfant n’est pas un adulte miniature, les manifestations du chagrin sont différentes selon l’âge, donc peu repérées.
Pour pouvoir parler aux frères et sœurs en tant que parent, il est important d’avoir pu le mentaliser soi-même. Les ouvrages ci-dessous, les associations, les professionnels, pourront participer à accompagner le deuil dans la fratrie en fonction du besoin.
Dominique Merg Essadi
Psychologue, Praticienne EMDR, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
Présidente de l’Association de soutien au deuil dans la période périnatale et de la petite enfance,
Nos Tout Petits d’Alsace, Strasbourg.
http://nostoutpetitsdalsace.org/
nostoutpetitsdalsace@gmail.com
Références :
Ben Soussan P. (2006), I. Gravillon, L’enfant face à la mort d’un proche, Albin Michel, 2006
Bowlby, J. (1984). Attachement et perte 3 La perte tristesse et dépression. Paris : PUF.
Dolto F (1998), Parler de la mort, Mercure de France,
Fugain M. (2012) Moi on ne m’a jamais demandé comment j’allais, Michel Lafon
Hanus M, I. HanusI (2008) La mort, j’en parle avec mon enfant, Nathan,
Hanus M., B.Sourkes, ,(1997)Les enfants en deuil: portraits du chagrin, Frison-Roche
Huisman-Perrin E, (2008) La mort expliquée à ma fille, Ed. Le Seuil, Paris, 2002 P.
Jeammet, Pour nos ados, soyons adultes, Odile Jacob,
Merg Essadi D. Paquet V., (2009) Le groupe de paroles, une voie pour accompagner le deuil, Vocation Sage-femme, 75, pp 13-15.
Formation : Sejourné C. (2020) “Accompagnement de la fratrie en deuil d’un tout petit”, Formation, Strasbourg 2020
Cahiers à dessiner : « Quelqu’un que tu aimes vient de mourir, tu vas ressentir ce que l’on appelle le deuil », Fédération Européenne Vivre Son Deuil / « Un bout de chemin en famille » Association SPAMA
Références d’ouvrages jeunesse :
http://www.spfv.fr/selection-ouvrages/maladie-grave-mort-deuil-jeunesse
TEMOIGNAGES
L’espoir que cette histoire ne pèse trop lourd
“La question de la fratrie en cas de deuil périnatal reste l’une des questions les plus complexes à aborder. Que dire à l’enfant d’après, et quand ? Quels mots choisir pour raconter aux frères et sœurs ainés que le bébé qui était si attendu et désiré n’a finalement pas pu vivre ? Comment raconter sans être anxiogène, comment parler de l’absent sans donner aux autres enfants présents l’impression de ne pas être assez, ni celle de remplacer un fantôme ?
Ces questions, j’y ai été confrontée à 3 reprises.
La première fois, lors de la naissance de ma fille, suite à une première IMG. Sa naissance a été un tel bouleversement dans la période sombre que je traversais alors que je n’étais jamais bien sûre de ce qu’il fallait faire, dire ou penser. Comment expliquer à son nouveau-né que, si maman est triste, c’est parce que sa grande sœur n’a pas pu vivre ? J’ai verbalisé de façon simple, assez intuitive, ce que je ressentais, sans être jamais complètement sûre que ma fille comprenne ce que je lui disais. Avec en permanence la crainte aussi de lui faire porter une histoire somme toute trop lourde pour elle.
Lorsque nous avons essayé d’agrandir la famille, quelques temps plus tard, et que ma troisième grossesse s’est de nouveau soldée par une IMG de façon totalement inattendue, je me suis cette fois-ci retrouvée à devoir expliquer à ma toute petite fille de 2 ans et demi que sa petite sœur, elle non plus, ne vivrait pas. Cette fois-ci, mes questions étaient d’une nature totalement différente : comment parler de la maladie de ce bébé sans risquer de lui faire croire que moi, son papa ou elle pourrait l’attraper, tomber malade et mourir à son tour ? Comment gérer la tristesse aussi, me réserver des moments de chagrin, face à une enfant encore tant en demande de sa maman ? Et puis si ma fille ne m’en parle pas, est-ce parce qu’elle ne se rend pas tout à fait compte de la situation, ou parce qu’elle est trop petite encore pour verbaliser ses émotions ?
J’ai donc de nouveau expliqué : que le bébé était trop malade, et trop fragile. Que cette maladie, ni papa, ni maman, ni elle ne pourrait l’attraper. Que papa et maman étaient très tristes, mais que cela n’était absolument pas de sa faute à elle. Je crois que, ce qui a été le plus compliqué pour ma fille à l’époque, ça a été de voir ses parents si démunis.
Aujourd’hui, après une fausse-couche tardive pour ma quatrième grossesse, ma fille est désormais un peu plus grande et commence à exprimer ses émotions. Sa tristesse de ne pas être grande sœur. Ses questions aussi : « et pourquoi le bébé n’est plus dans ton ventre ? Et comment on l’a fait sortir ?». Le dialogue s’initie différemment, mais il n’en demeure pas moins complexe. Les questions sont souvent précises, même si très innocentes. Pour être tout à fait honnête, je n’ose jamais aborder frontalement le sujet avec elle, je la laisse revenir vers moi quand elle souhaite me parler ou me poser des questions. Je n’ose pas non plus lui raconter de nouveaux ses autres sœurs, ne sachant pas très bien quel souvenir elle conserve de ces deux épisodes. Je lui parlerai de cette histoire, qui est la mienne mais un peu la sienne aussi quand elle sera en âge d’entendre certaines choses. Avec des mots et des propos adaptés à son âge.
Aujourd’hui, quand elle nous réclame un petit frère ou une petite sœur, je lui explique simplement que papa est maman ont essayé, mais qu’ils ne pourront sans doute jamais agrandir la famille. Que ce n’est pas si grave, dans le fond, car nous sommes très heureux ainsi. Que notre fille nous comble, et que nous sommes très heureux avec elle. Et que si un jour nous pourrons accueillir un autre bébé, cela se fera avec un bonheur immense, mais que nous n’avons pas besoin de cela pour être une famille unie et aimante. Sans botter en touche, ni minimiser, mais en essayant tout simplement de conserver le niveau de transparence approprié pour son âge. Et en gardant toujours en tête quelque part dans le récit que, finalement, cette histoire de la maternité, si lourde à porter pour sa maman, ne la concernera sans doute pas à l’âge adulte, et qu’il n’est ni fatalité ni malédiction dans notre histoire familiale. Quand elle sera adulte, et si elle le souhaite, j’espère que ma fille osera se lancer dans un parcours maternité avec un minimum de sérénité, et sans que cette histoire ne pèse trop lourd sur ses épaules.”
Julie
Être vigilants au ressenti de notre enfant
Lorsque je tombe enceinte en 2016, mon mari et moi sommes ravis de l’annoncer à notre fils de 3 ans. « Maman a un bébé dans le ventre. » Quand le cœur du bébé s’arrête à 18 semaines, je suis personnellement dévastée. Mon mari et moi manquons sans doute à ce moment-là de vigilance à l’égard de notre fils, qui voit papa et maman très tristes. Notre petit commence à se réveiller chaque nuit dans une certaine panique, comme s’il venait de faire un horrible cauchemar, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. Aveuglés par notre propre chagrin, mon mari et moi ne faisons pas le lien entre les réveils nocturnes de notre enfant et la mort in utero de son petit frère. C’est une personne extérieure qui nous a aidée à faire le lien : l’Assistante Maternelle de notre fils, au courant des récents événements et des difficultés nocturnes, décide d’en parler à la psychologue de la PMI, alors en visite au Relais des Assistantes Maternelles de notre commune.
Cette intervention extérieure, qui a pu me paraître intrusive au premier abord, s’est révélée capitale. On nous conseille alors de prendre le temps de parler à notre enfant avec des mots simples : « Quand les mamans ont un bébé dans le ventre, il finit par venir au monde, mais parfois le bébé ne reste pas dans le ventre... ». La psychologue nous a conseillé d’insister sur le fait que lui, notre enfant de trois ans en pleine santé, allait rester auprès de nous, qu’il n’allait pas « partir » comme l’avait fait notre bébé. Ces paroles ont dû être apaisantes et bénéfiques, car notre fils n’a plus eu d’épisode de « terreurs nocturnes » et son sommeil est redevenu paisible.
Rétrospectivement, je considère que nous n’avons, mon mari et moi, pas dû laisser toute sa place au ressenti de notre enfant, qui bien que très jeune, était tout aussi affecté émotionnellement par les événements. Ce que je retiens de cette expérience, c’est qu’il est préférable d’expliquer les choses aux tout petits, même si ces choses sont dures à entendre et à dire. Le non-dit, c’est à dire le secret par omission, a eu dans notre cas des répercussions immédiates sur le bien-être de notre enfant, j’imagine désormais avec effroi ce qu’il peut produire sur le long terme. »
Amanda
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