Accompagnement autour du deuil périnatal : le groupe de parole
LA PAROLE DES PROFESSIONNELS
La naissance bien que devenue très médicalisée dans nos sociétés demeure néanmoins entourée de pratiques ritualisées et constitue un moment fort de l’histoire de la famille. Ces mêmes sociétés ont une attitude bien différente concernant la mort qui non seulement est fortement déniée mais aussi bien peu entourée par ses membres.
Plus particulièrement, la mort d’un enfant survenue avant ou après sa naissance est singulière et sidère le groupe social. Pour ces petits défunts nommés ahoris par les latins c’est-à-dire morts avant l’heure, rien de ce qui s’applique à la mort à l’issue d’une existence ne peut leur correspondre ; c’est un phénomène infra social, comme le dit le sociologue René Hertz, « la société n’ayant encore rien mis d’elle-même dans l’enfant, ne se sent pas atteinte par sa disparition et reste indifférente ».
Par ailleurs, les rites attachés à des croyances ou à des pratiques religieuses ont pratiquement disparu et les regroupements familiaux dans ces situations sont souvent difficiles alors même que l’image de la famille se modifie vers un mode individualiste.
Ces vies interrompues trop tôt engendrent une grande souffrance pour les parents et leur douleur est souvent minimisée par l’entourage social qui les contraint souvent à raisonner leur peine.
Cependant, depuis ces dernières années, des changements sont intervenus pour prendre en considération le deuil périnatal et accompagner les parents. Au sein des maternités l’expérience des patients qui ont vécu des deuils périnataux a permis de faire évoluer les comportements des soignants qui, s’appuyant sur des protocoles et des recommandations accompagnent au mieux les parents et favorisent la réalité du passage de l’enfant en lui reconnaissant son humanité.
L’accompagnement des parents doit se poursuivre au-delà du séjour souvent très court à la maternité ; les groupes de paroles peuvent alors offrir un temps d’élaboration psychique hors d’une relation thérapeutique individuelle.
L’association Nos tout-petits d’Alsace, composée de parents ayant perdu un bébé et de professionnels de santé propose aux parents endeuillés des groupes de parole où les parents s’inscrivent selon leurs besoins, régulièrement ou non, en couple ou individuellement. Les rencontres ont lieu au sein de l’Hôpital de Hautepierre à Strasbourg qui a mis une salle à disposition pour l’association et dans un cabinet de sage-femme libérale à Mulhouse.
Comment le groupe de parole peut-il devenir une voie pour aider les parents en deuil ?
La circulation de la parole s’organise autour des préoccupations principales énoncées par les personnes présentes ; elles permettent l’expression des émotions et de la souffrance. Là où la mort est subie, le fait de s’inscrire dans un groupe participe d’une démarche active. La capacité personnelle à pouvoir aider l’autre est, de plus pour chaque participant, une expérience sociale valorisante. Le groupe permet de sortir de l’isolement et du sentiment d’être incompris.
Les participants expriment leurs émotions contradictoires et leurs interrogations sur leur propre état.
Les uns et les autres s’apportent compréhension, soutien mutuel et encouragement quant à l’évolution de la succession des bouleversements psychiques traversés.
Les animateurs du groupe de parole, par leur capacité d’écoute, aident ceux pour qui le traumatisme empêche toute élaboration. Chacun peut reconstruire ce qu’il a vu, senti, entendu et se l’approprier.
L’enfant perdu pourra « être parlé » comme le dit Michel Hanus sans rester associé à l’expérience douloureuse des circonstances de sa perte.
Dans le groupe, les parents se resserrent sur leurs petits disparus et construisent par la parole et l’émotion partagée, la socialisation de leurs bébés. Cette étape de réhabilitation de l’existence de l’enfant mort va aider à en faire le deuil.
Peut-on considérer que le groupe fonctionne comme un rite ?
Le groupe a une fonction sociale en permettant à des parents endeuillés de sortir de l’isolement et de rencontrer des personnes vivant une expérience similaire à la leur. Ceci est une dynamique d’ouverture possible devant les différences individuelles.
Du point de vue psychopathologique, c’est un lieu ou peut s’élaborer l’impensable. La capacité contenante des animateurs offre une réflexivité qui soutient les parents dans leur travail d’acceptation.
L’effet de l’échange de paroles autour de ces petits s’approche de celui d’un rituel tel qu’il est défini par Catherine Legrand-Sebille : « L’activité rituelle soulage, allège le poids de l’affliction »
Notre société n’a-t-elle pas aujourd’hui besoin de reconstruire, de réinventer le rite ou le symbole, n’est-elle pas engluée dans son processus de déni de la mort qui la prive de lieux et de moyens pour s’approprier et faire une place à ses petits morts ?
Véronique Paquet et Dominique Merg Essadi
Association Nos tout-petits d’Alsace
Références :
° René Hertz, Contributions à une étude sur la représentation collective de la mort.
° Michel Hanus, La mort aujourd’hui.
° Catherine Legrand-Sebille, (collectif) le fœtus, le nourrisson et la mort.
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LA PAROLE DES PARENTS
« En novembre dernier, on nous apprenait après plusieurs tests et examens la trisomie de notre petit garçon. La violence des annonces et le peu de soutien du corps médical, qui insistait pour que nous leur communiquions notre « choix » sur la décision la plus difficile à prendre de notre vie, nous ont poussé à entreprendre des recherches, à rencontrer psychologues, généticiens, associations …
Puis tout s’est enchaîné, les décisions, les rendez-vous, l’organisation de l’enterrement, l’accouchement, la crémation sans que nous puissions réaliser l’impact que cela aurait sur nous.
Quelques jours plus tard, en revenant du cimetière nous nous interrogions : quand et comment aura lieu la chute ? Nous nous sentions anormalement debout, conscients et inconscients à la fois de tous les événements qui venaient de se passer. Lors de nos précédentes recherches, nous avons appris l’existence par le bouche à oreille de l’existence de l’association Nos tout petits, nous décidons de les contacter. La perspective de pouvoir échanger avec des parents ayant vécu le même deuil périnatal (même s’il est propre à chacun) nous rassurait.
L’une des responsables de l’association me contacte pour connaître notre histoire, elle souhaite également s’assurer que nous ne sommes pas « d’anti-IMG » car elle a le devoir de protéger les parents. Nous voilà rassurés : nous arrivons dans un groupe où nous serons protégés et surtout pas jugés !
Elle me présente l’association et les deux moyens de communication : les groupes de parole avec parents et personnels soignants souhaitant se former au deuil périnatal et un groupe Facebook privé.
Nous nous inscrivons immédiatement au groupe de parole 1 mois après la naissance de notre fils Charly. Jour J et covid oblige, le groupe se déroule en visio et les règles sont rappelées : pas de jugement, pas de noms de médecins et une discrétion absolue : rien ne sortira de ce groupe ! Le tour de table démarre par les plus « expérimentés » à l’exercice. Nous sommes mis à l’aise très rapidement avec beaucoup de bienveillance. Nous étions les seuls « nouveaux », notre présentation nous a étrangement soulagés et mon conjoint ne s’était jamais autant exprimé sur notre drame. L’empathie flottait dans l’atmosphère et nous nous sentions suffisamment à l’aise pour demander aux parents présents quand va arriver notre contre coup et comment le gérer ? Les premières réponses nous ont touchées : notre aplomb, notre force et notre amour les avaient marqués !
Nous étions soutenus par des étrangers pas si étrangers…
Chacun a apporté son vécu, la visualisation du choc émotionnel a vite été imagé en plongeon dans une piscine et nous avions le droit de ne pas toucher le fond ! Les histoires de chacun : les img, les maladies génétiques, les quelques jours partagés avec leurs enfants avant l’inéluctable, la foi, les tensions - incompréhensions des couples, les séparations, les angoisses des grossesses suivantes, les enfants arc en ciel, le vécu des frères et sœurs …. Tous les sujets ont été abordés avec une grande sincérité et compassion.
Pour certains la perte remontait à des années, des mois, des semaines : nous avons compris que chaque personne vivait les choses à sa façon et qu’il n’y avait ni bonnes ou mauvaises réactions. La psychologie manque parfois à nos proches n’ayant jamais vécu un tel drame mais de nouveaux amis étaient maintenant présents et nous ne nous sentirions plus jamais seuls.
Il m’est arrivé de trouver du soutien en postant « un appel à l’aide » sur la page Facebook : il est difficile de réagir lorsqu’une naissance nous touche de trop près. Après l’accouchement de ma sœur, un mois et demi après la crémation de mon fils, j’avais besoin d’aide. J’ai pu compter sur nombreux témoignages et conseils pour surmonter ce moment à la fois merveilleux et douloureux.
L’association nous apporte aussi de douces pensées : une journée spéciale est organisée entre la fête des pères et des mères, cela m’a beaucoup aidée d’avoir moi aussi la journée de « mamange ». Nous recevons également une carte d’anniversaire le jour de la naissance de notre enfant. Souvent nos proches n’osent pas évoquer notre bébé, mais ils ignorent la plupart du temps qu’il nous est insupportable de faire comme si de rien ne s’était passé. La petite déco de Noël à accrocher dans le sapin nous réchauffe le cœur : nous n’oublions pas nos tous petits.
Angélique, 32 ans, maman de Charly né sans vie le 11/12/2020 après une fausse couche 10 mois auparavant
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En fin de séance, un jour, ma psychologue me propose de participer à un groupe de parole avec une seconde psy et d’autres parents ayant vécu la perte d’un enfant. Elle souhaite faire se rencontrer des mamans qu’elle suit. Intéressée par l’approche et un peu curieuse je crois, me voilà, un soir à ce premier rendez-vous. Mon mari est en déplacement, j’ai dû dire à ma famille ou je partais pour faire garder mes enfants. Je ne me sens pas très soutenue dans ma démarche : Que cherches-tu encore ?
Ne pense plus à ça.
Je me trouve sur devant la porte du lieu de rendez-vous, il m’en faudrait peu pour repartir mais je franchis le cap. Qui vais-je rencontrer ? Serons-nous nombreuses ?
Les deux heures passent très vite, nous parlons de nos histoires, toutes très différentes avec cette douleur commune. Certaines fêtent les 20 ans, d’autres 2 mois... Nous échangeons, nous pleurons...
Nous nous retrouvons 3 ou 4 fois par an pendant plusieurs années. Certaines partent, d’autres nous rejoignent. J’y trouve un réconfort sans précédent, quel soulagement de parler de nos enfants sans tabous, nos craintes, nos rêves, nos moments de bonheur qu’il faut oser vivre. Je ne sens moins seule et suis étonnée de rencontrer tant de personnes qui ont vécu la même « galère » que moi.
La psychologue (référente du département pour la perte d’un enfant) est partie, nous sommes trois à continuer à nous rencontrer depuis bientôt 7 ans. Rien ne laisser penser que l’on pourrait se rencontrer et devenir amies, nous nous retrouvons régulièrement pour passer un bon moment. Il y a toujours une discussion pour « nos filles » mais nos cœurs se sont ouverts aux autres et à notre nouvelle vie.
Nathalie, maman de Marion née sans vie en septembre 2003
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