Deuil périnatal : comment vivre l’attente ?
Introduction
Dans certaines situations, la pathologie fœtale est connue et non viable, le diagnostic ainsi que le pronostic sont annoncés aux parents simultanément à la découverte des anomalies. Cette annonce peut plonger les parents dans un état de choc où la sidération peut entraver la compréhension de la pathologie et ses conséquences pour le bébé et sa famille. D’autres entretiens auront lieu pour que les parents puissent progressivement intégrer les informations concernant la pathologie mais aussi le processus de l’interruption médicale de grossesse lorsqu’elle est envisagée. Ce temps d’attente sera vécu différemment selon les parents : peur, colère, tristesse, culpabilité mais également déni voire rejet du bébé peuvent cohabiter. Souvent aussi la hâte d’en finir au plus vite pour « passer à autre chose". Ces émotions sont normales pour tout parent confronté à l’annonce d’une maladie grave qui vient bouleverser toutes les projections faites autour de la naissance du bébé attendu.
Dans d’autres cas, l’anomalie dépistée ne donne pas lieu à un diagnostic et à un pronostic catégorique et définitif. D’autres examens vont devoir être réalisés à distance. Ce temps d’attente est souvent vécu douloureusement pour les parents qui ont des interrogations concernant l’avenir de leur bébé.
Cependant, l’attente qui rythme le temps de la découverte d’une anomalie fœtale à la décision d’interruption médicale de grossesse est une période nécessaire pour que les parents puissent prendre du recul pour réfléchir à leurs choix futurs, pour se renseigner auprès de médecins, psychologues, associations mais aussi pour vivre ce temps auprès du bébé comme ils le souhaitent au-delà de l’angoisse infinie ressentie. Le temps qui matérialise l’attente permet aux parents de prendre conscience de cette réalité brutale qui leur a été imposée et d’accepter la suite de la prise en charge. Françoise Gonnaud, pédopsychiatre (La mort périnatale, 2015), souligne que les parents passent du projet de naissance heureuse à son renoncement « dans l’idée que « plus vite l’interruption médicale de grossesse sera faite, moins on souffrira » : tenter d’échapper à la souffrance devant ce qui arrive en la confondant avec l’objet de la souffrance est une illusion toujours démentie par la suite ».
Il n’en reste pas moins que confronté à l’insoutenable douleur du devenir du bébé fantasmé devenu en une fraction de secondes porteur d’une malformation grave, le vécu du parent est singulier et les émotions aussi diverses soient- elles qui en découlent sont toutes légitimes.
Morgane, bénévole à Petite Emilie
Témoignages ...
Témoignage de Laetitia
L’attente du diagnostic suivie de l’attente de l’IMG…
Lors de ma seconde échographie, au début du mois de décembre 2008, à l’hôpital d’Annecy, le diagnostic est tombé comme un couperet « votre enfant semble avoir une anomalie cardiaque », diagnostic confirmé quelques instants plus tard par un cardiopédiatre. La détresse, la tristesse et l’angoisse sont apparues et l’attente de l’avis obligatoire d’un autre médecin à l’hôpital de Grenoble a été interminable. Les jours étaient horriblement longs jusqu’au diagnostic final qui a conclu à plusieurs anomalies chez notre bébé. La date de l’IMG sera fixée la semaine suivante. Cette semaine fut certainement la plus longue de ma vie, avec ses peurs, tristesses, angoisses et multiples questions. Comment prendre son fils décédé dans ses bras ? Pourquoi lui donner un prénom ? Pourquoi prendre des photos ? A quoi bon l’habiller à sa naissance ? Essayer d’imaginer le décès de son enfant dans une semaine, quelle horreur et quelle injustice ! Anesthésiée par ces différentes émotions, je ne sentais plus mon enfant bouger dans mon ventre. J’ai souhaité lire le livret de l’association Petite Émilie, transmis par la sage-femme cadre, livret qui m’a apporté des réponses à mes questions et je me suis dit pour la première fois que cette dernière semaine allait me permettre de profiter encore de mon bébé dans mon ventre. J’ai aussi décidé de donner à mon fils tout ce que j’avais pu donner à son frère ainé lors de sa naissance : il aura un prénom, je le prendrai dans mes bras, je l’embrasserai, je le câlinerai, des photos seront prises et il sera habillé chaudement, la neige était présente…Cette longue attente jusqu’à l’IMG m’a permis d’évoluer et de vivre la fin de ma grossesse différemment avec davantage de sérénité. Mon bébé a dû sentir ce changement car à nouveau je le sentais bouger dans mon ventre, une sensation que je ressens encore 14 ans après…
Ainsi, mon fils Mathis, à qui je dédie ces quelques lignes, est né et ses photos peuvent être regardées par ses parents, frères et sœur quand nous le voulons.
Témoignage de Julie
Lors de la seconde écographie, nous avons appris qu’il manquait toute la partie centrale du cerveau de notre bébé… Une bombe qui vous tombe dessus ! Et puis milles questions de la part de mon mari, le choc pour moi. A ce moment-là je ne souhaitais qu’une seule chose, que l’on retire cet enfant rapidement de mon ventre, comme tout effacer pour vite recommencer, mais en mieux. En réalité une longue attente a commencé ! Une période semée de rendez-vous avec une psychologue (qui m’a beaucoup aidé à me décharger de toutes mes questions et mes pensées) mais aussi de rendez-vous pour effectuer divers examens afin de confirmer le diagnostic mais aussi afin de comprendre ce qui avait bien pu se passer. Lorsque j’ai compris que le chemin allait être long, j’ai pris le temps de réfléchir et j’ai décidé que cette période allait être un moment privilégié avec mon bébé. En effet nous n’aurions que ces quelques mois ensemble alors j’ai décidé de profiter, de l’accueillir, de lui parler et de créer un lien malgré tout. J’ai par contre essayé de protéger mes proches surtout mon mari et mon fils de 3ans à l’époque mais avec le temps je regrette un peu ! Parce que finalement cet enfant fait toujours parti de notre vie encore aujourd’hui presque 10 ans après. Les rendez-vous hebdomadaires avec la psychologue m’ont réellement fait du bien, elle était vraiment très bien et je pouvais parler sans tabou et sans peur d’être jugée. Prendre du temps pour moi, m’occuper que de moi et être solidaire avec mon mari m’ont beaucoup aidé aussi. Le plus dur pour moi était les examens à répétition qui me laissais espérer une amélioration ce qui bien sûr n’était absolument pas le cas mais plutôt le contraire. Et puis dans un sens on se dit que c’est important de ne rien laisser passer et de confirmer le diagnostic. Ce que je retiens de cette épreuve, c’est que l’on ne pas lutter donc il faut prendre soin de soi, être entouré et écouté, ne pas être dans la retenue par rapport aux autres car il n’y a pas de raison de moins parler de cette grossesse et de ce bébé, bien au contraire !
Témoignage de Sophie
Pour ma part j’ai subi une img pr trisomie 21 le 9 mars 2017 pour ma première grossesse.
Notre monde s’est écroulé le 18 janvier 2017 lors de l’écho du premier trimestre quand on nous annonce qu’il y a un fort risque de trisomie car la clarté nucale est élevée. On me fait faire le tri test en urgence mais au fond de moi je sais que c’est fini. Mon mari a toujours été plus optimiste que moi. Le 27 janvier, j’appelle ma gynécologue car toujours pas de nouvelles des résultats du tri test et elle m’annonce par téléphone « c’est pas bon du tout, 1 risque sur 10 » et elle me dit qu’il faut faire une amniocentèse et que je dois me débrouiller seule car ils sont difficile à joindre. Le 30 janvier, jour de mon anniversaire, après la journée à les contacter un gynécologue me rappelle à 21h pour convenir d’un rdv le 2 février. J’y vais avec ma mère car mon mari travaille et il m’explique ce qu’est un enfant trisomique et comment se déroule une amniocentèse. On décide d’un rdv le 13 février pendant les vacances scolaires je suis prof et je pense que j’avais besoin de ce temps pour lui dire aurevoir. Entre temps, je suis allée faire des séances de relaxation pour préparer au mieux cette amniocentèse. Mon mari m’accompagne à l’amniocentèse mais j’ai attendu 2h l’arrivée du gynécologue dans une salle froide ou il y avait des affiches sur la trisomie. Il s’est excusé, il avait eu une urgence mais ça a été une attente interminable. J’ai soufflé, fait de la relaxation, chantonné pour me calmer. Tout s’est bien déroulé. Nous avons eu la confirmation de la trisomie le 6 mars. Presque 1 mois après. Pendant ce temps j’ai continué à voir ma psy et j’ai fait des séances de relaxation ou je racontais mon histoire. Mon mari est allé à l’hôpital le 6 mars, quand il m’a appelé pour me dire de venir je savais l’issue de notre histoire avec elle. La gynécologue m’a dit que normalement il y avait 1 semaine de réflexion pour l’img, j’ai répondu que cela faisait plus d’un mois que nous avions commencé notre deuil, qu’on en avait discuté et qu’on allait lui rendre sa liberté le plus vite possible pour qu’elle ne souffre pas.
Ange est née le 9 mars à 19h. Cela a été le plus beau jour de ma vie. Depuis, Jules est né en juin 2019 et normalement nous devrions agrandir la famille cette année, c’est prévu pour le 25 décembre. Un beau clin d’œil d’Ange.
Témoignage de Cha
Lorsque la gynécologue nous a informé d’une possible malformation de notre fils, elle a elle-même pris rdv pour une écho plus approfondie à la maternité. Dix jours qui ont été interminables, rien n’a pu soulager notre angoisse.
Je me suis plongée à corps perdu dans le travail pour éviter de penser, mon mari a fait de même, et nous nous occupions de notre aînée tels des robots, en mode automatique.
Le rdv arrivant nous nous sommes retrouvés dans la salle d’attente entre une dame avec 4 enfants en bas âge sur le point d’accoucher qui allait fumer chaque demie-heure car il y avait du retard, et une jeune fille d’une quinzaine d’année. Le retard s’accumulant, la colère montait en nous, ne sachant pas ce qu’il en était de l’état de santé de notre fils. Ce moment a été terrible.
Puis la porte s’est ouverte, le diagnostic est tombé, l’img a été décidée.
Ensuite est venue l’attente de la réponse de la commission, celle de l’attente du coup de fil pour nous donner la date.
Rien ne pouvait nous soulager, seuls les antidépresseurs et le travail nous permettaient de tenir debout.
Nous avons été plutôt bien entourés par le corps médical et par nos proches, mais rien n’y a fait.
Depuis 5 ans maintenant nous vivons avec notre étoile qui veille sur nous.
Témoignage d’Erika
Nous avons découvert la ventriculomégalie de notre fils lors de la troisième échographie, le 29/12/21. A ce moment-là, niveau émotionnel c’était très ambivalent. Le choc et l’incompréhension se mêlaient. Je n’ai pas compris l’enjeu de cette annonce tout de suite, tout en sachant qu’il y avait un problème. La semaine d’après a été très stressante, j’ai été prise en charge rapidement pour de nouveaux examens et je ne savais pas si c’était bon signe ou non. J’étais terrorisée et les médecins affichaient des mines confiantes et professionnelles, je ne savais pas comment le prendre. En attendant les résultats, je trahissais mon stress et l’appréhension en préparant l’arrivée de mon bébé et en me répétant que tout allait bien se passer comme si de rien n’était. C’est ce qui me soulageait car émotionnellement c’était les montagnes russes, entre espoir, déni et peur. Après quelques jours d’attente qui m’ont paru une éternité, le neurochirurgien nous a donné rdv. C’est là que pour la première fois de ma vie j’ai entendu le terme IMG. Ils nous ont donné quelques jours pour réfléchir et prendre notre décision. Un des moments le plus difficile a été quand on a annoncé notre décision au médecin et qu’il s’est mis à nous parler des obsèques alors que je sentais mon bébé bouger à l’intérieur de moi. A partir de ce moment rien n’a pu me soulager, à part le fait d’essayer de me répéter sans cesse que c’était le meilleur pour mon bébé. Aujourd’hui, 5 mois après, j’essaye encore de m’en persuader. Mon fils est né sans vie le 19 janvier 2022. Depuis l’annonce du diagnostic jusqu’à sa naissance il n’y a eu que quelques semaines, qui m’ont parues à la fois une éternité à cause de l’attente, et à la fois tellement soudaines et rapides. Je n’ai pas eu assez de temps pour faire face au choc et parler à mon bébé, lui expliquer notre choix et lui dire aurevoir comme il se doit.
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