Les anciennes de Petite Emilie témoignent
Des années plus tard, des anciennes bénévoles de Petite Emilie reviennent sur leur histoire, leur deuil et leur engagement pour Petite Emilie. Ces témoignages nous permettent de prendre conscience du chemin accompli et sont porteurs d'espoir pour tous les parents qui tentent de se reconstruire.
« Cela fait 20 ans cette année que Rémy est mort, et 19 que j’ai créé Petite Emilie pour aider sa maman Sabrina.
Il s’est passé très peu de jours sans que je pense à lui au moins un instant. Et je sais que j’y penserai encore le jour de ma mort, sans que ce ne soit ni grave ni tragique.
La mort de Rémy était à l’époque le pire moment de ma vie, et fait encore partie des pires événements que j’aie vécus. Mais sa mort est aussi une des plus grandes leçons que j’aie reçues, une aventure qui a fait pour beaucoup ce que je suis aujourd’hui. C’est grâce à lui que j’ai pu traverser de nombreux tourments sans y laisser ma santé ou ma famille. C’est grâce à lui que j’ai façonné certains traits de ma relation aux autres.
20 ans après, voici les leçons qui continuent de m’éclairer, sans ordre d’importance :
J’ai le droit d’être triste.
Lorsque l’on a mal, lorsque l’on a eu mal, on a le droit d’être triste. J’accueille la tristesse quand elle arrive, comme une connaissance un peu pénible qui s’incruste. Elle passe un moment avec moi. Elle me rappelle des souvenirs. Ce n’est pas une si mauvaise chose, de savoir que je n’ai pas oublié mon fils.
J’écoute sans jugement.
J’ai appris à être ouverte à tout ce qu’on peut me dire, sans juger. C’est devenu un trait de caractère très fort. Je ne suis pas psychologue, pas assistante sociale, mais je sais combien prêter une oreille neutre et bienveillante peut réconforter. J’écoute, je reconnais la douleur, et j’accepte d’échanger sur des sujets que beaucoup préfèrent éviter.
Heureusement que les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus (mais qu’ils ont le téléphone).
Nous avons vécu une période familiale extrêmement difficile avec mon mari. Heureusement qu’il y avait eu Rémy avant, et ce que toutes les familles de Petite Emilie nous ont appris. Nous n’avons pas cessé de communiquer, de reconnaitre à l’autre le droit d’avoir un avis différent. Nous nous sommes écoutés, nous avons compris que l’un voyait le verre à moitié vide et l’autre le verre à moitié plein, et que la « vérité » était partagée entre nous deux.
J’ai béni le fait de ne pas réagir de la même manière que mon mari. De ne pas être tristes en même temps. Il était là quand je m’effondrais, et vice-versa. Si nous avions sombré en même temps, qui nous aurait relevés ?
Je m’appuie sur ceux qui me font du bien.
Entourage médical, entourage familial et social, tout est bon à prendre pour traverser une crise. J’ai appris à faire le tri, à ne pas essayer de trouver du soutien là où il n’y en a pas, même si ce sont des personnes très proches. Je ne les aime pas moins pour autant, mais je sais que c’est ailleurs que je vais trouver les paroles qui réconfortent.
Je m’appuie sur ce qui me fait du bien.
Lors de ces événements douloureux, à part pleurer, je ne pouvais que dessiner. J’ai dessiné. Puis il y a eu des moments où c’était la musique. Va pour la musique. C’était mon chemin, ma consolation ou mon apaisement, personne n’avait rien à y redire. S’autoriser ces sentiments est fondamental, comme de s’autoriser la tristesse. C’est en étant en accord avec ses vrais besoins que l’on peut trouver son chemin. Faisons-nous confiance.
Je parle de ce qui ne va pas.
La mort de Rémy a été largement passée sous silence, et c’était une des choses les plus difficiles à vivre. Depuis, j’ai compris la leçon, et je parle de ce qui ne va pas. En parlant simplement de ce que je traverse, je trouve des idées, des contacts, de la solidarité. ... Je ne parle pas à tout le monde, mais à des personnes dont je pense qu’elles pourraient l’entendre. Ça me permet de me sentir moins seule et de moins devoir jouer une comédie sociale : je peux dire « aujourd’hui, ça ne va pas fort », sans m’appesantir sur les détails et sans rien demander de plus qu’un peu de compréhension.
Et la joie dans tout ça ?
Voilà la dernière leçon, mais peut-être, chronologiquement, la première que j’ai reçue : Il faut dire à ceux qu’on aime qu’on les aime, pour ne jamais avoir le regret de ne pas l’avoir fait. Il faut aussi entretenir la joie. Comme l’entretien de l’amour, c’est un travail long et délicat dont on peut trop facilement oublier combien il est essentiel ! »
Caroline
« Permettez-moi de me présenter brièvement : je m'appelle Andrea Nowak. J'ai perdu mon premier fils en 2002, à 18 SA, à cause d'une trisomie 18. Après que ma fille Marie est née en bonne santé, j'ai eu un diagnostic similaire à celui de 2002 lors de ma grossesse suivante en 2004 : trisomie 13. Il est alors devenu clair que ce n'était pas seulement "une coïncidence", mais qu'il y avait des raisons plus profondes. Nous avons décidé d'interrompre la grossesse à 24 SA.
Auparavant, j'avais déjà rencontré PE et j'y avais trouvé pour la première fois un lieu où je pouvais partager mes questions, mes réflexions et mes idées avec d'autres personnes concernées, sans tabou et sans jugement. Très vite, je me suis aussi engagée dans la structure pour rendre un peu de ce que j'avais reçu. Et oui, j'ai noué de belles amitiés grâce à PE ; des amis que je vois rarement (entre-temps, j'habite en Autriche), mais avec qui je peux avoir de superbes conversations sur tout et rien (comme l'a si bien dit une amie : rare mais toujours de bonne qualité), toujours en sachant que je peux aussi aborder ce que j'appelle "l'ombre noire" de ma maternité : mes tout petits, partis trop tôt. Et pourtant, cette "ombre" m'a beaucoup appris : je suis devenue beaucoup plus patiente, plus indulgente, je m'autorise moins à juger les gens.
Ce que mes enfants vivants (j'en ai 3, nés en 2003, 2006 et 2012) m'ont appris : cela vaut la peine de vivre le moment présent, de s'y engager, de redécouvrir le monde avec eux. Concernant le bon moment pour une nouvelle grossesse, je voudrais juste partager une expérience : les projets, l'avenir que l'on avait avec le bébé décédé ne reviennent pas sous cette forme. Mais si l'on est prête à donner une nouvelle place à ces projets, à ces rêves d'avenir et à la confiance, et si l'on accepte aussi des changements par rapport à ce qui était prévu, alors on est sur la bonne voie. La maternité, que ce soit sur le chemin semé d'embûches ou sur celui de l'insouciance, reste un apprentissage tout au long de la vie, au cours duquel il faut souvent accepter des défaites et des changements de plans.
La rencontre intensive que j'ai eue grâce à PE avec les professionnels entourant l'IMG m'a montré beaucoup de choses ; étant donné que je suis une personne plutôt intellectuelle qui rationalise volontiers les sentiments, cela a été décisif pour mon processus de deuil : se confronter intensément à ce qui fait la valeur de la vie, justement au début, cachée dans le ventre de la mère. Accepter que l’entourage, même le père de l’enfant, ne soient pas sur la même longueur d’onde, au même stade du processus du deuil. Savoir que ce tout-petit a vécu toute sa vie et qu'il m'a donné tout ce qu'il pouvait donner pendant ce court laps de temps. Parfois, je me surprends encore aujourd'hui, 20 ans après la mort de mon premier fils, à imaginer quelle vie il mènerait maintenant, à quoi il ressemblerait, etc..., mais ce ne sont toujours que des secondes avant de me rendre compte qu'avec sa T18, il n'aurait probablement même pas eu de vie en dehors de l'hôpital et qu'il m'a donné tout ce dont il était capable le jour de notre rencontre, le 14 juillet 2002.
Si je pense tous les jours à mes enfants décédés : oui, presque tous les jours. Mais dans les belles choses de la vie : un superbe lever de soleil, le bruit de la mer en Bretagne, le bleu du ciel dans les Alpes... PE m'a montré que l'engagement social valait la peine : nous avons - à mon humble avis - réalisé beaucoup de choses en collaboration avec le personnel médical, les responsables des PMI, le personnel des cimetières et des administrations communales, ce qui rend les relations humaines plus faciles dans ces circonstances difficiles, ne serait-ce qu'un peu. Je poursuis mon engagement pour une meilleure cohabitation sociale d'une autre manière : je suis depuis des années présidente ou trésorière des associations de parents d'élèves de mes enfants scolarisés (mon activité professionnelle de commissaire aux comptes semble me qualifier pour cela), afin d'apporter mon expérience pour le bien d'une communauté.
Ce que j'aimerais transmettre aux parents qui ont vécu la perte de leur enfant : la vie se divise clairement en une partie avant la mort de mes enfants et une partie après, la personne "Andrea" avant la mort de mes enfants n'est plus la personne après la mort de mes enfants, mon mariage avant la mort de mes enfants n'existe plus après la mort de mes enfants.
Est-ce que cela n'est plus supportable et est-ce que cela a détruit ma vie - non, car les côtés positifs l'emportent sur les côtés négatifs. Si j'avais souhaité vivre ces expériences sans la mort de mes enfants - oui, car enterrer son propre enfant reste la pire expérience de ma vie jusqu'à présent. »
Andréa
« 11/03/2004 – 2022, Que de chemin parcouru depuis la naissance de BB5 ! Je garde le souvenir de mes premières recherches sur Google au retour de la maternité, et de ces premiers contacts avec Petite Emilie. Réaliser que d’autres parents vivaient des histoires similaires à la mienne, ressentaient la même solitude et la même incompréhension m’a fait un bien fou ! Dans les semaines, mois, et années qui ont suivi, mon action avec Petite Emilie n’avait qu’un seul but : donner du sens à mon histoire. Je me dis aujourd’hui que c’était peut-être très égoïste, mais étais-je capable de mieux à ce moment-là ?
Donner du sens à mon histoire, cela voulait dire partager, écouter, entendre, rencontrer, parler. Auprès des parents d’abord, des professionnels de santé, des pouvoirs publics, des média. Et c’est comme ça que j’ai fait mon deuil, jour après jour. Travailler pour Petite Emilie, bénévolement et sans compter mes heures, c’était, indirectement, donner une place à BB5 dans ma vie de tous les jours, ne pas risquer de l’oublier, m’occuper de lui, faire que son passage dans ma vie dure plus longtemps. C’était aussi reprendre pied dans la réalité avec un engagement de sens, auprès de personnes magnifiques que je n’aurais jamais eu l’occasion de rencontrer si nos deuils respectifs ne nous avaient pas rapprochées.
Familialement, et dans mon cercle proche, cet engagement me donnait l’occasion de parler du deuil périnatal, sans parler seulement du mien. C’était probablement plus facile pour mon entourage d’entendre mes propos qui ne parlaient pas que de moi, et de BB5 ; Je pouvais aussi en parler avec moins d’émotion que lorsque je parlais de BB5.
Je me suis éloignée de Petite Emilie après 7 années, pour des raisons familiales et professionnelles, mais aussi parce que j’avais bouclé la boucle de mon deuil. J’ai pris le temps d’écrire un livre avec Jeanne Rey sur l’accompagnement du deuil périnatal, et c’est une belle clôture. BB5 a sa place dans mon histoire, dans notre histoire familiale, il n’est pas oublié ; penser à lui ou parler de lui n’est ni tabou ni triste ! Il est et restera pour toujours ce petit ou grand frère resté tout petit.
Je vois souvent des signes de son passage parmi nous, et je voudrais vous partager celui-ci : l’une de mes filles est sage-femme, et j’aime à penser que notre histoire familiale a joué un rôle dans sa vocation. Il y a 2 ans, pendant ses études, elle a été confrontée à la mort d’un bébé au moment de l’accouchement, et j’étais là à son retour de garde. Je me souviendrai toujours de nos larmes ensemble mais surtout de tout ce qu’elle m’a raconté sur les mots qu’elle avait su trouver pour les parents, sur la place qu’elle avait pu prendre auprès d’eux, sur la gestion si compliquée de ses émotions. Elle sera une sage-femme exceptionnelle pour des parents confrontés à un deuil périnatal, et pour moi, c’est le plus beau cadeau que BB5 et Petite Emilie aient pu me faire. »
Cécile de Clermont
La place des souvenirs
Si les rituels sont importants pour signifier l’existence du tout petit dans le deuil périnatal,...
Les accompagnements dans le deuil périnatal
Dans le cadre de cette lettre d’information Petite Emilie a souhaité recueillir des témoignages...
Accompagnement autour du deuil périnatal: l'écoute profonde
Qu’est-ce que l’écoute profonde ?L'écoute profonde est une pratique issue de la psychonanie...
Témoignages des mamans endeuillées : les photos de grossesse
Suite aux vidéos postées par Petite Emilie à l'occasion du 15 octobre dernier, nous avons été...
Deuil périnatal : comment vivre l’attente ?
IntroductionDans certaines situations, la pathologie fœtale est connue et non viable, le...
Deuil périnatal : le regard des proches
La parole du professionnelEn tant que psychologue spécialisée dans le deuil périnatal, je ne...