Un deuil méconnu
La perte de l'enfant tant attendu, quel que soit le terme de la grossesse, quelles que soient les circonstances, est un véritable cataclysme pour les parents.
La douleur est si grande, si vive... bien sûr que l'entourage va comprendre ! Comment pourrait-il en être autrement ?
Et pourtant, dès la sortie de la maternité, une nouvelle épreuve attend bien souvent les parents : le tabou qui entoure le deuil périnatal. Un deuil tellement méconnu qu'il n'accorde même pas de nom aux parents qui le vivent (parents orphelins ? Parents désenfantés ?).
L'entourage, proche ou moins proche, semble ne pas comprendre la douleur des parents, ne pas en mesurer l'intensité.
Mais pourquoi ?
A l'occasion de la journée de sensibilisation au deuil périnatal, j'ai eu envie de donner la parole à cet entourage justement, d’essayer de comprendre ce que peuvent ressentir ces personnes qui se retrouvent (un peu brutalement il faut bien le dire) face à une réalité qu'ils ne soupçonnaient même pas la plupart du temps. Comprendre pourquoi tant de parents en deuil se trouvent alors face à de l’incompréhension, du déni, des maladresses.
Je suis donc allée à la rencontre de personnes que chaque parent peut être amené à croiser dès son retour de la maternité : commerçants, instituteurs, professeurs de sport... mais aussi d'autres personnes choisies un peu au hasard.
J'ai abordé le sujet du deuil périnatal de manière volontairement abrupte, sans leur laisser le temps de la réflexion, afin de recueillir au maximum leur ressenti, leurs émotions, en toute spontanéité. Lorsque j’ai annoncé le sujet que je voulais aborder lors de cet échange, la première réaction a été le choc, un certain malaise. Cette posture est aussi celle du cercle élargi des familles endeuillées, lorsqu’ils apprennent le décès d’un bébé en devenir.
Au cours de ces échanges, j’ai pu noter qu’il y avait souvent une confusion entre IMG et IVG, l’IMG étant largement méconnue. En abordant le sujet de manière plus large, avec la notion de « deuil périnatal », cela parait plus clair, mais seulement par la définition plus connue de chacun des deux termes. Il semble que cette expression n’avait jusque là pas été entendue, retenue et encore moins utilisée.
Cette méconnaissance a d’ailleurs été décriée par certains professionnels de santé, qui travaillent en maternité, sans pourtant être en première ligne dans l’accompagnement des familles endeuillées. Ainsi, Delphine, une auxiliaire de puériculture qui a exercé en maternité regrette de ne pas avoir été préparée, et de ne pas toujours être prévenue. Elle se souvient de ses premières fois, de s’être « sentie démunie, d’avoir eu envie de chialer », puis avoir un peu mieux trouvé ses repères en engrangeant de l’expérience.
La seconde réaction, celle qui verbalise quelque chose, consiste souvent à vouloir rassurer la mère ou les parents touchés par une perte périnatale. Mais qu’est-ce que veut dire « rassurer » en de telles circonstances ? C’est là le plus souvent que sont formulées les petites phrases si blessantes, qui pourtant, partent d’un bon sentiment : « tu en auras d’autres », « au moins tu n’es pas stérile », « ça va passer »… En fait, ça ne rassure pas du tout. Au-delà de susciter un sentiment de colère, cela revient à minimiser un deuil qu’il est pourtant si important de légitimer, de faire savoir et de reconnaitre.
Fabienne Sardas, psychologue, ayant animé des groupes de parole de parents endeuillés, m’explique qu’il s’agit d’une réaction naturelle, induite par « un déni inconscient, un mouvement défensif ». En effet, la perte d’un enfant à naître est méconnue, et n’est pas dans l’ordre des choses (même si l’histoire de l’humanité a connu jusqu’à il y a encore quelques décennies, une situation de mortalité périnatale importante). Plus encore qu’une autre perte, cela renvoie à l’impuissance de chacun à garder ceux qu’on aime. D’autant plus qu’il s’agit de « la mort d’un enfant, ce qui relève de l’impensable, de l’insupportable, de l’irreprésentable. »
Ces personnes, qui adoptent une posture visant à rassurer, s’efforcent de ne pas parler de l’enfant disparu, par peur de réactiver la souffrance. Elles ne s’imaginent absolument pas que cette stratégie d’évitement inconscient revient à nier l’existence même de cet enfant, et de fait à minimiser la douleur.
La psychologue revient sur certaines spécificités du deuil périnatal. Il se réalise en l’absence de souvenirs partagés avec l’être disparu. Alors « on s’autorise à utiliser une parade avec ces bébés : on pense et on fait comme s’il ne s’était rien passé, puisque n’ayant pas été socialisés, c’est un peu comme s’ils n’avaient pas appartenu à notre société. »
Faire le deuil d’une personne ayant vécu, partagé des événements, des moments de vie avec autrui est très communément admis. Il en est autrement d’un enfant qui n’a pas vécu en dehors du ventre de sa mère. Il n’a pas connu le « dehors ». C’est ce « dehors » qui permet l’appartenance à notre société. Cela permet donc de le nier plus facilement. Des membres de l’entourage ne se sentent pas légitimes pour parler de ce bébé du « dedans » alors qu’eux font partie du « dehors ».
Malgré ce décalage, tous ont conscience que ce deuil a quelque chose de particulier.
Ainsi, Christophe l’imagine comme étant « encore plus difficile pour la maman, notamment en raison d’un probable sentiment de culpabilité qui s’ajoute au chagrin de la perte ».
Louis aimerait plutôt « rassurer sur les choix réalisés par les parents » plutôt que sur un avenir dont il ne connait rien. Il se proposerait d’accompagner en douceur, sans précipitation. « Vouloir passer trop vite à autre chose, c’est comme construire une maison sans fondation ».
Pour Marine, « il ne faut pas oublier de se préoccuper du père ». Elle pense qu’il faut aussi le soutenir, « lui proposer un accompagnement. »
Les personnes qui se sont prêtées au jeu de mon petit questionnement ont tout à fait conscience de ne pas forcément avoir les bons mots, et ont peur de commettre des maladresses. L’annonce du deuil périnatal est plutôt inattendue, et cette idée n’avait jamais été envisagée, ni de près, ni de loin. Alors les mots justes sont loin de se présenter spontanément.
Ainsi, Gilles, un instituteur, pense qu’il se sentirait démuni. « J’aurai l’impression de ne pas pouvoir offrir mon aide ». Il se tournerait rapidement vers la psychologue scolaire pour y chercher des réponses, un soutien. Il souligne qu’il s’agit d’un deuil particulier, puisqu’il suit la perte d’une personne mais aussi d’une attente, d’un projet. « Honnêtement, je ne sais pas comment on fait ce deuil là ».
Xavier, l’un des rares à ne pas avoir l’envie de rassurer, explique pourquoi il pense cette démarche peu constructive. « Bien sûr que plus tard elle ira mieux, mais c’est trop tôt pour le lui dire. C’est comme dire à un type qui se prend une enclume sur le pied que dans deux jours il n’aura plus mal ! ».
Benoit, lui pense qu’il aborderait ce sujet avec beaucoup de pudeur. Lui-même père de famille, il se sentirait gêné de « nager dans le bonheur » et de créer un important décalage entre la souffrance d’un parent endeuillé et sa propre situation au regard de la paternité.
Au-delà de toutes ces réponses, ce qui m’a le plus marquée au cours de ces échanges, c’est le réel intérêt de toutes ces personnes pour ce sujet difficile, leur intérêt pour ce que vivent les parents. Ils sont en demande d’apprendre afin de se sentir plus en capacité d’accompagner le vécu de ce type d’événement s’il venait à se présenter à quelqu’un de leur entourage. Malgré la situation particulièrement inconfortable dans laquelle je les ai mis, par surprise, tous m’ont remerciée de ce que cet échange leur avait apporté, et beaucoup m’ont demandé la plaquette et les coordonnées de Petite Emilie.
Cette expérience, pas toujours évidente, m’a permis de mettre en évidence deux choses : d’abord que le tabou qui entoure le deuil périnatal est bien présent, très fort, comme on le savait déjà. Mais aussi et surtout qu’en en parlant simplement, naturellement, les barrières tombent, et l’intérêt des personnes qui n’y sont pas confrontées est réel et sincère.
Il est important de continuer d’en parler, d’expliquer, ne pas avoir peur de l’évoquer.
C’est aussi de cette manière qu’on peut accompagner au mieux les parents qui vivent ce drame.
Je tiens à remercier chaleureusement les personnes que j’ai sollicitées pour cet exercice, ainsi que Fabienne Sardas pour son analyse.
Adeline, présidente de l'association
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