Fêtes et anniversaires : l'importance des rituels et des commémorations
Le deuil est un temps douloureux de la vie liée à la perte, c’est un temps indispensable, non défini, subjectif pour pouvoir rétablir un équilibre psychologique qui permet de gérer les émotions et la pensée.
Le temps qui passe, la possibilité de raconter son désespoir, exprimer la rage, l’angoisse et les voir reconnus et légitimés permet d’avancer, trouver des nouvelles motivations pour avancer dans sa propre vie, se donner des fonctions, des objectifs.
Le long de ce parcours de reconstruction il y a des moments qui restent particuliers et spécifiques, souvent difficiles : les jours des fêtes, des anniversaires. Les récurrences sont des parenthèses de vie très sensibles pendant lesquelles il est possible de re-projeter ses souvenirs au moment de la perte. La douleur redevient par moment vive, l’incompréhension, les silences des personnes de l’entourage n’aident pas à reconnaitre cette souffrance renouvelée.
Tout ce travail fait pour intégrer la perte à sa propre vie avec harmonie et sérénité semble devenir vain.
Les anniversaires les fêtes, les rites, les commémorations sont une des différentes façons pour travailler le souvenir, de chérir la relation qui a été vécue avec le bébé, une relation qui, d’une certaine façon a besoin d’être re-vécue.
Ils peuvent aussi être des moments vécus en communauté comme la marche du 15 octobre et cérémonies collectives organisées au Père Lachaise. Ces occasions permettent de se rencontrer avec d’autres parents, de se sentir unis avec des personnes qui ont vécu un deuil similaire. Le deuil qui communément isole devient un lien.
Mais ces journées sont aussi des étapes importantes qui aident à avancer, pour retrouver la force de retrouver nos ressources affectives, nos compétences pour les petits et grands projets qui puissent donner un sens de continuité avec notre vécu, qui intègrent l’expérience de la perte. Un autre pas accompli dans le chemin du souvenir qui permet de créer une liaison, un héritage affectif, que rien ne pourra casser, une absence qui sera partie intégrante de la vie pour toujours.
EXTRAIT DU LIVRET DE LIEUX DE RECUEILLEMENT PUBLIE PAR L’ASSOCIATION
Le crématorium du Père Lachaise de Paris organise depuis 2009 une cérémonie trimestrielle pour les « tout-petits ». Juliette Palot Deshayes, membre de l’association Petite Emilie et Hélène Zwingelstein, déléguée aux questions cérémonielles et sociétales pour les Services Funéraires de la Ville de Paris
Hélène Zwingelstein : Pourquoi une telle cérémonie ? Un exemple illustratif. Cette année, à l’occasion du 1er novembre, je me trouvais au crématorium du Père Lachaise, fermé au public ce jour-là durant l’après-midi. À ma grande surprise, je rencontre tout de même un couple dans les couloirs, errant dans la pénombre. L’homme et la femme s’étaient introduits discrètement avant la fermeture de l’édifice. Ils cherchaient en fait dans ce lieu, un peu comme dans un tombeau, la présence de leur bébé disparu plusieurs années auparavant. Lorsque je leur ai indiqué la présence de la stèle pour les tout-petits, à quelques mètres de là, dans le cimetière du Père Lachaise, puis l’existence de nos cérémonies trimestrielles, j’ai eu le sentiment de voir leur visage s’éclairer : un lieu de recueillement digne où déposer des fleurs ; un temps partagé avec d’autres familles, en lieu et place de ce deuil solitaire et caché... Les spécificités de la souffrance liée à la perte périnatale restent très méconnues du grand public.
Pour tout dire, en ce qui me concerne, je n’ai découvert véritablement cette problématique qu’au moment d’intégrer mes fonctions aux Services Funéraires de la Ville de Paris. Mon travail portait auparavant sur de toutes autres questions, et je n’avais jamais été directement confrontée à cette expérience. C’est donc au fil des rencontres avec les familles, les professionnels et les associations, que j’en ai pris progressivement la pleine mesure. Et justement, il me semble que c’est l’invisibilité de cette perte aux yeux des autres qui rend la souffrance qui l’accompagne particulièrement solitaire et sourde. Elle isole ceux qui l’éprouvent. En tant que professionnels, experts, collectivités, acteurs publics, ceci doit nous interpeller. Dans le cadre éthique de notre mission de service public, c’est une responsabilité qui nous incombe d’accompagner les couples et les familles enfermés en silence par une telle perte, de les replacer dans l’espace social. C’est là l’un des enjeux liés à l’organisation de cérémonies collectives.
Juliette Palot Deshayes : Oui, la dimension collective et ouverte permet de faire exister l’enfant aux yeux de tous, socialement, de le rendre « réel ». Le deuil périnatal, peu connu et reconnu, n’est pas un « demi deuil » parce que notre enfant n’a pas vécu. C’est bien un deuil à part entière, avec toutes ses complexités et ses particularités. Il s’agit du deuil de l’enfant non advenu, le deuil d’un enfant désiré, déjà aimé, que seuls ses parents, les équipes médicales et de très rares proches auront rencontré. Le fait d’organiser une cérémonie publique des tout petits apporte une reconnaissance extérieure importante. Entendre le prénom de son enfant prononcé par une autre personne que notre entourage proche, pouvoir parler de lui en étant entendue et reconnue, lui dire et écrire des mots qui accompagneront son médaillon et seront inhumés avec lui... Tout cela lui donne une existence aux yeux de tous.
Hélène Zwingelstein : Nous observons au Père Lachaise que certains parents ressentent le besoin de participer plusieurs fois à la cérémonie. Il arrive qu’ils reviennent plusieurs années plus tard, pour clore... ou ouvrir un nouveau chapitre.
Juliette Palot Deshayes : Le fait de savoir que cette cérémonie existe permet aux familles de pouvoir s’y rendre à tout moment de leur deuil. Chaque famille peut par exemple y retourner pour un événement particulier : un anniversaire, une nouvelle grossesse.
TEMOIGNAGES
Comment passer la fête des mères après avoir perdu son bébé ?
Ce dimanche 26 mai, ça ne vous aura pas échappé, ce sera la fête des mères. Et, alors que je trie inlassablement depuis plusieurs jours déjà ma boite mail débordant de spams commerciaux en tout genre (« attention, plus que 48h, stocks limités ! »), je me demande encore comment je suis sensée vivre cette affaire. Comme chaque année depuis 5 ans.
Parce que je sais déjà ce qui m’attend : ce dimanche, pendant que mes contacts Facebook posteront des photos enamourées de jolis bouquets et de poèmes rédigés d’une écriture tremblante par une petite main encore mal assurée, je passerai la journée à osciller entre joie de recevoir (j’attends un collier de nouilles de la part de ma fille de pied ferme – mon mari est prévenu), et une certaine forme de mélancolie. Parce que voilà, après deux IMG, la fête n’a plus tout à fait la même saveur. Bien entendu, j’ai eu l’immense chance de redevenir maman, je me sens donc « légitime » à la fêter publiquement. Mais cette fête des mères, comme toutes les dates anniversaires, me renvoie inévitablement vers mes deux autres filles, celles dont personne ne parle, celles qui ne sont pas là. Celles dont personne ne comprendrait vraiment qu’elles me manquent encore, après toutes ces années, pour cette journée un peu particulière.
J’ai eu de la chance : en 2015, pour ma première fête des mères post-IMG, j’étais déjà enceinte. Je pense que cette grossesse m’a sauvée en m’évitant de sombrer dans un état dépressif carabiné. Comme si Noel n’était pas déjà si pénible comme ça. Chaque mail commercial reçu était comme un coup de poignard pour me rappeler mon statut perdu. J’avais l’impression que ma boite mail me hurlait : « Ah, non désolée : ce ne sera pas pour toi cette année ! ». Mon mari m’avait offert un joli bouquet pour l’occasion, une façon de me dire : « moi je sais que tu es maman ». J’avais néanmoins patiemment attendu que la journée se passe, histoire d’en finir une bonne fois pour toutes. Mais que faire des conversations à table, entre collègues, le lundi suivant ? Comment participer aux discussions sur les cadeaux reçus par celles qui avaient eu plus de chance que moi ? Bien évidemment, je n’ai rien dit, j’ai avalé ma purée froide sans broncher, en faisant semblant que tout ceci ne m’atteignait pas.
Les années suivantes, les choses ont été plus simples : ma fille, Kate, était arrivée. J’étais reconnue comme maman parmi les autres mamans. Même après ma seconde IMG. Mais je n’ai jamais cessé de passer cette journée avec une pensée particulière pour mes deux autres filles. Et je sais que, chaque fois que mon mari m’offre un cadeau pour l’occasion, il le fait au nom de nos trois filles.
C’est, de toutes façons, toute l’ambivalence de notre statut : garder les deux pieds dans le monde des vivants, et une pensée dans celui des morts – parce que si nous ne pensons pas à nos enfants, qui le fera ?
Alors pour cette nouvelle fête des mères qui s’annonce, j’ai une pensée particulière pour toutes celles qui ne la fêteront pas, ou pas tout à fait comme les autres. Pour les familles incomplètes, et les mamans cabossées. Prenez soin de vous, éteignez votre boite mail, coupez-vous des réseaux sociaux si vous redoutez de souffrir en contemplant les photos des autres. Et, surtout : souvenez-vous que cette journée finit par passer, c’est promis.
Julie
Ma fête nationale
En France pour beaucoup d’entre nous, à l’approche du 14 juillet, on se dit qu’un jour férié arrive. On va pouvoir souffler, se détendre un peu. Et si par bonheur il tombe au milieu de la semaine on pourra même faire le pont et profiter. Depuis 2014, je n’envisage plus beaucoup cette perspective comme un possible bon moment à passer en famille ou entre amis puisqu’il s’agit de la veille du jour de la naissance de ma fille.
Bien évidemment je n’attends pas la veille pour penser à elle : j’y pense toute l’année. Mais lorsqu’arrive cette période, une espèce d’appréhension se fait sentir.
Un “pas envie” d’être le matin du 15 juillet me trotte dans la tête, ce sera une journée mélancolique. Les images marquantes me reviennent. Tous ces moments les plus désagréables que l’on vit chacun très différemment. Ne serait-ce que parce ma compagne les a vécus dans sa chair et moi avec la très désagréable sensation de ne pas servir à grand-chose. C’est faux bien sûr mais c’est quand même présent à cet instant-là. Je me sens impuissant, dépassé.
Durant les jours qui précèdent l’anniversaire, je me refais le film à l’envers systématiquement :
Retour le 4 juillet, « votre fille est malade, très malade …», je revois l’instant fugace où notre décision est prise. Quelle décision, d’ailleurs ? Cela s’impose, nous ne pouvons pas nous imaginer voir notre fille souffrir…
Puis tout s’enchaine jusqu’au 15 juillet 2014.
Chaque année je me demande quels cadeaux aurions-nous fait à notre petite. Elle aurait eu ses 3 ans, 4ans, 5 ans...
Mais que faire ?... Les évènements se sont déroulés, le temps passe, on devient plus fataliste. Alors je ne résiste plus à l’envie d’écouter « Elisa », la chanson de Serge Gainsbourg, ça remue un peu les tripes et certains pourront penser que c’est une façon de se faire du mal mais je n’ai pas cette impression-là, J’imagine juste des instants tendres que nous aurions pu vivre.
A présent les fêtes nationales seront toujours les veilles du jour de la mort d’Elisa, pour moi. Nous avons absorbé ses souffrances, c’est notre rôle de parents aimants.
Pierre
La marche du 15 octobre
Nous marchons pour tous ces bébés qui ne feront jamais leur premier pas
Marcher, c’est parler du deuil périnatal…
Le deuil périnatal, un terme qui reste encore largement méconnu du grand public. C’est un tabou qui reste encore à lever dans nos familles, nos amis, nos collègues de travail. Une grande banderole blanche arborant le ruban du deuil périnatal est fièrement portée par les paranges lors de la marche afin que ce deuil si particulier soit pris en compte et mieux compris. C’est en effet un deuil qui parfois peut être minimisé car il s’agit de bébés que l’on a très peu connus.
Marcher, c’est se remémorer….
C’est une journée qui est entièrement dédiée à la mémoire de son bébé et où l’on se sent en complète communion avec lui.
Lire à haute voix le prénom de tous ces bébés, c’est dire haut et fort qu’ils ont existé in utéro, quelques heures ou quelques jours, qu’ils ont laissé une trace indélébile dans nos vies, dans nos corps et nos âmes.
Ecrire son nom sur un tee-shirt aux couleurs du deuil périnatal ou sur un ballon qu’on lui adressera au ciel, jeter une rose à la mer, arborer le ruban du deuil périnatal : autant de gestes symboliques qui posent un rituel en l’honneur du bébé. Cette marche accompagne les parents sur le chemin si long et tortueux du deuil car marcher pour son bébé c’est faire quelque chose de concret pour lui. On y trouve souvent un peu d’apaisement. Marcher, c’est avancer, c’est aller de l’avant, c’est ne plus être figé dans l’immobilité de la douleur.
Marcher, c’est partager….
Une marche pour briser la solitude : c’est un moment de partage, de bienveillance et d’empathie entre tous les paranges qui prennent conscience qu’ils ne sont pas seuls à vivre ce terrible drame. C’est un lieu où on se sent compris dans sa douleur.
La marche pour les anges, ce sont des larmes, des sourires, des gestes de tendresse et d’amitié, la vie en somme….
Isabelle, Présidente de Pieds par terre cœur en l'air
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