Les grands parents aussi - Témoignages
Pour faire suite aux articles de nos deux précédentes lettres « un deuil méconnu », et « le vécu de l’entourage » nous vous présentons les textes de Michèle puis de Christiane et Bernard. Ces grands parents mettent en lumière leur implication dans le deuil périnatal de l’un de leurs enfants.
Ce 24 décembre 2013, alors que le réveillon se préparait en famille, la foudre est tombée sur notre bonheur. Mes enfants sont passés dans l’après-midi pour m’annoncer que leur petit Hugo ne vivrait pas. A 6 mois de grossesse, une anomalie au niveau du cerveau a été détectée et une IMG a été décidée aussitôt. Que pouvais-je faire pour eux à part les prendre dans mes bras, être là, ne pas les étouffer mais avoir envie de les envahir d’amour, envie de prendre leur douleur, envie d’effacer cette peine comme je pouvais effacer les petits bobos quand mon Xavier était petit…mais rien...je ne peux rien faire.
Quand ils sont partis ce jour-là, j’ai regardé la chaise où je posais une couverture que je faisais pour Hugo, j’ai mis plusieurs jours à la ranger dans un placard, comme pour me dire, c’était simplement un cauchemar, Hugo n’a rien.
Et le 31 janvier 2014, le petit Hugo est né sans vie, si beau, si pâle. Il est parti avec des caresses, des bisous, mais ce n’est pas ce dont une grand-mère a envie. Elle a envie d’un sourire, de chaleur, de donner de la douceur, elle n’a pas envie de voir ses enfants souffrir et son petit-fils mourir.
Les pédiatres ont dit que c’était la « faute à pas de chance », que cela n’arriverait plus.
A l’automne 2014, l’annonce attendue, Alexandra attend à nouveau un bébé. Le bonheur, la joie, l’espérance et aussi la peur, le doute. J’attendais avec peur chaque échographie. J’ai vécu cette grossesse avec cette angoisse permanente. Eux étaient plein d’espoir, je suis persuadée qu’ils avaient peur aussi mais il fallait rester optimiste.
Et le 22 mai 2015 une si jolie petite Margaux est née, belle poupée de 51 cm et de 3.370 kgs. Xavier me l’a annoncé vers 8h30 et je n’ai pu la voir que vers 11h. J’ai eu donc 2h30 de grand bonheur. Et la fraction de seconde où je l’ai vue j’ai compris, elle avait le même problème que son grand frère. Que faire devant mes enfants ? J’ai essayé de rester de marbre, de sourire, d’être heureuse, mais un gouffre s’est ouvert sous mes pas. Je ne sais pas si les enfants se sont rendus compte, je ne sais toujours pas. J’ai essayé de calmer mon esprit en me disant que j’avais eu tellement peur avant, que c’était une idée fausse..que..que..que...mais je savais déjà. Je suis rentrée chez moi dans un état second.
Me sont venues toutes les questions qu’une grand-mère peut se poser.
Ai-je transmis une anomalie génétique à mon fils ? C’est peut-être de ma faute ? Comment vais-je arriver à gérer ma souffrance et continuer à soutenir mes enfants ?
La souffrance, la douleur de voir mon fils s’effondrer en pleurs dans mes bras, ne pas savoir comment et quoi lui dire, sauf que je l’aime, que je suis là, que je ferais n’importe quoi pour lui, pour eux. Mais en même temps, je ne peux rien faire. Ne pas dire de mots qui pourraient faire encore plus mal pour eux, mais en même temps ne pas savoir quels seraient les mots qui feraient encore plus mal. Aucun mot ne peut réconforter des enfants qui viennent de perdre leur 2ème enfant. Aucun mot ne peut atténuer cette horreur.
Et la peur pour eux. Peur qu’ils ne supportent pas le choc. Peur que pendant tous leurs allers-retours à la clinique ils aient un accident de voiture, peur de chaque appel, peur de les voir craquer et ne pas savoir comment faire. Margaux est décédée le 4 juin, et pendant tous ces jours j’ose dire que j’ai espéré qu’elle parte plus vite. Je sais que c’est horrible, mais tout le monde savait qu’elle ne vivrait pas, et moi j’avais une peur permanente pour mes enfants.
Les questions médicales m’envahissent aussi. Pourquoi les échographies n’ont rien détecté, pourquoi les pédiatres n’ont pas demandé d’analyses complémentaires au vu des problèmes de Hugo. La colère contre les médecins qui traverse l’esprit, et qui ne reste pas car il faut essayer d’être là pour mes enfants. Cette colère ne sert à rien, personne ne peut revenir en arrière. Il faut être présente pour les enfants et ne pas se perdre dans une colère inutile.
Aujourd’hui, mars 2016, ils ne savent toujours pas quelle est cette anomalie, les résultats du génome ne sont toujours pas arrivés. Je me pose toujours des questions sur une éventuelle anomalie que j’aurai transmise, cela serait la pire des punitions pour moi. J’aime mes enfants, de tous les pores de ma peau, je voudrais prendre toute leur souffrance, mais j’ai du mal à gérer la mienne.
Je ne sais pas comment réagissent les grands-parents, comment ils aident leurs enfants. Pour ma part, je ne peux que leur proposer mon amour, ne pas les étouffer de mon amour. J’ai commencé à essayer de réagir positivement quand je me suis rendue compte que mon fils s’inquiétait pour moi : le monde à l’envers.
Hugo et Margaux sont chaque jour dans mes pensées, ils seront toujours mes petits-enfants. Tous les jours j’ai leurs images qui passent, à chaque fois que je vois un bébé, je les imagine. Je sais que la douleur va passer, mais seulement un peu. Je me suis même surprise à « oublier » pendant 1 heure. Pour le moment je n’ai pas d’autres petits enfants, j’essaie de garder l’espoir. Pour Xavier et Alexandra et aussi pour ma fille Cécile, qui elle aussi a peur d’une hérédité et qui attend les résultats de génome pour savoir ce qu’il se passe.
Ce qu’il me reste aujourd’hui de Hugo, un petit visage tellement beau, serein. De Margaux, une petite main qui se referme sur mon doigt, un tout petit sourire. Les yeux d’amour de mes enfants sur leur petite fille si belle mais qui ne vivra pas. J’essaie d’effacer ma 1ere vision, mais c’est celle qui me reste le plus, elle est imprimée, je n’arrive pas à la faire partir de ma tête.
Perdre un enfant est la pire des épreuves, mais en perdre deux, je ne sais toujours pas comment ils font pour tenir. Le couple tient bien, ils sont amoureux et cette douleur n’a pas réussi à les séparer.
Ça aussi c’est une peur pour une grand-mère, voir le couple se reprocher d’être responsable d’une transmission génétique et finir par se séparer. Qui va en vouloir à l’autre ?
Michèle
Petite conversation avec Romain, notre petit-fils.
Quand ta maman Adeline a passé sa première échographie, c’est ton papa Cyril qui a téléphoné pour nous annoncer une anomalie aux reins. Il se veut rassurant, « ce n’est pas grave, on va juste faire une autre échographie plus perfectionnée pour vérifier ». Je veux croire très fort que ce n’est pas grave mais déjà la peur m’envoie des signaux incontrôlables. Malgré tout, je continue de tricoter la layette, comme pour conjurer le sort.
A la deuxième échographie, on décèle une autre anomalie, au niveau de ton cœur. L’espoir diminue, mais on s’accroche encore : « à Necker ils t’opèreront très bien, ils sont des pros » nous dit ta maman, mais je sens bien dans sa voix un manque manifeste de conviction. Moi, je ne peux plus y croire, j’arrête de tricoter la layette, je sens une spirale nous entourer tous, comme une toile d’araignée, et pourtant une petite lumière dans ma tête me dit d’y croire encore. Un troisième examen (l’amniocentèse) est prévu. Les jours qui suivent vont être rythmés par l’alternance de panique et d’espoir.
Le résultat arrive, le verdict est sans appel, on nous annonce que tu ne pourras pas vivre, tout s’effondre, c’est terrible d’entendre ça, d’imaginer ça, c’est même impossible. Pourquoi, pourquoi donc ce genre de chose existe ? Ce n’est pas juste, moi j’ai eu mes enfants avec une facilité inouïe et ma fille ne peut pas, pourquoi il lui arrive ça, qu’a-t-elle de moins que moi pour que ça ne fonctionne pas, je voudrais pouvoir lui prendre ce malheur pour qu’elle soit heureuse elle aussi.
L’IMG a lieu. Nous sommes présents près de papa et maman. Une image très forte de ce jour là me reste à l’esprit : après l’accouchement, papa rentre à la maison avec Papounet pour se reposer un peu , il l’a bien mérité, il a assuré « grave ». Moi je reste à l’hôpital avec maman, dans ce lit je la trouve enfouie sous ses draps, comme une petite fille, elle me regarde avec dans ses yeux énormément de souffrance et en même temps énormément de fierté et elle me dit avec un sourire triste : « tu sais, il était beau Romain » ! Je n’oublierai jamais ce moment là.
Le jour de tes obsèques, je t’ai vu dans ton petit cercueil, et je t’ai regardé, regardé, encore et encore, pour me remplir de ton image, je savais que le temps nous était compté, évidemment tu étais beau, tu es et tu seras toujours notre petit Romain, le grand frère de Clara et Emma, et nous t’aimerons toujours, par étoiles interposées.
Mais le retour à la vie quotidienne nous réservait encore quelques désagréments que l’on n’avait même pas soupçonnés : les réactions de l’entourage. Bien sûr, certaines personnes très proches ne savaient pas bien exprimer leur ressenti mais il se voyait dans leur regard, dans un petit geste ou dans le fait seulement de nous écouter sincèrement. Mais d’autres personnes, par exemple des collègues de travail y sont allées de leur : « bon arrête de tracasser, tu seras grand-mère un jour ou l’autre ! » ou bien « oh la la, mais ils sont jeunes ils en auront d’autres ! » etc…. Ca s’appelle une gifle !!! Je leur en ai voulu pendant un temps, puis à force , j’ai réalisé que ces personnes étaient démunies ou même paniquées devant un tel problème. Alors j’ai fait mon chemin autrement, avec ceux qui n’avaient pas peur, avec Papounet , avec tata Nadège, etc. Quand à Papounet, il ne s’épanche pas aisément, peut-être un peu avec un ou deux collègues, qui sont comme lui, un geste suffit. Il a fait son chemin avec sa famille.
Enfin quand papa et maman ont croisé la route de Petite Emilie, ils ont commencé à aller mieux, à transformer cette épreuve en quelque chose de positif, et alors nous nous sommes accrochés à ce « cadeau » de la vie. Treize ans ont passé, nous pensons souvent à toi, et dans la table de nuit, j’ai un petit album avec les photos de naissance de tata Nadège, de maman, la tienne, celles de tes petites sœurs Clara et Emma, je sais que je peux te faire un petit coucou chaque fois que j’en ai envie. C’est apaisant d’avoir « mes cinq bébés » réunis dans cet album.
Quand nous regardons le chemin parcouru depuis par papa et maman , nous sommes rassurés, tu es là quelque part , tu veilles sur nous tous.
Voilà, nous envoyons pleins de baisers sur ton étoile, amuse toi à les attraper !
Mamoune et Papounet
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